La diaspora ambazonienne est en deuil. Eyembe Elango, l’un des plus influents bailleurs de fonds du séparatisme armé dans les régions anglophones du Cameroun, a été porté en terre ce week-end dans un cimetière américain. Sa disparition soulève de nombreuses interrogations sur l’avenir du financement de la rébellion, mais aussi sur le rôle trouble joué par certains membres de la diaspora dans la perpétuation du conflit.
Un héritier de la lutte indépendantiste
Fils du professeur Otto Elango, figure intellectuelle de premier plan qui forma des générations d’étudiants à l’université de Yaoundé avant de basculer dans l’opposition et l’exil, Eyembe Elango a très tôt embrassé la cause indépendantiste. Originaire de Kumba dans la région du Sud-Ouest, ce Bafaw convaincu n’a jamais caché son soutien à la lutte armée, qu’il considérait comme le seul moyen de parvenir à l’indépendance de l’Ambazonie.
« C’était un idéologue pur et dur, qui ne jurait que par la confrontation avec le gouvernement central », confie un proche joint par 237online.com. « Pour lui, toute négociation, tout dialogue était voué à l’échec. Seule la force des armes pouvait permettre d’arracher l’indépendance. »
Un financier de l’ombre au rôle controversé
Mais au-delà des discours enflammés, c’est surtout par son rôle de financier que Eyembe Elango a marqué la rébellion ambazonienne. Depuis son exil américain, il a usé de son influence et de ses réseaux pour collecter des fonds auprès de la diaspora, mais aussi de sympathisants étrangers, afin d’armer et d’équiper les groupes séparatistes sur le terrain.
« Il était considéré comme l’un des principaux pourvoyeurs de fonds de la rébellion », confirme un expert du conflit contacté par notre rédaction. « Son carnet d’adresses était impressionnant, et il savait se montrer persuasif pour convaincre les donateurs de délier les cordons de la bourse. Sans lui, de nombreux groupes armés auraient eu du mal à se maintenir dans la durée. »
Un rôle qui n’a pas manqué de susciter la controverse, certains lui reprochant de profiter de la souffrance des populations pour s’enrichir, ou encore d’attiser les violences depuis la sécurité de son exil américain. Des accusations qu’il a toujours balayées d’un revers de la main, se posant en patriote intègre au service de la cause.
Un vide difficile à combler pour la rébellion
Quoi qu’il en soit, sa disparition laisse un grand vide dans le camp séparatiste. Privés d’un de leurs principaux mécènes, les groupes armés pourraient bien se retrouver en difficulté, d’autant que la crise économique liée au Covid-19 a déjà sérieusement tari les sources de financement de la diaspora.
« C’est un coup dur pour la rébellion« , estime un observateur de la scène ambazonienne. « Eyembe Elango avait tissé un réseau unique, bâti sur des liens personnels et une réputation d’intégrité. Il ne sera pas facile de le remplacer, d’autant que les dissensions internes et les luttes de pouvoir minent de plus en plus le mouvement séparatiste. »
Une opportunité pour la paix ?
Paradoxalement, cette disparition pourrait aussi représenter une opportunité pour ceux qui, des deux côtés, œuvrent pour une résolution pacifique du conflit. Avec la mise en retrait d’un des principaux faucons de la lutte armée, les partisans du dialogue et de la négociation pourraient y voir une occasion de faire entendre leur voix et de ramener les belligérants à la table des pourparlers.
« La mort d’Eyembe Elango doit nous servir de piqûre de rappel », plaide un acteur de la société civile engagé dans la médiation. « Elle nous montre que la guerre n’est pas une solution, qu’elle ne mène qu’au désespoir et à la désolation. Il est temps de mettre fin à cette spirale infernale, et de travailler enfin à la paix et à la réconciliation. »
Un vœu pieux ? Peut-être. Mais en cette période de deuil, c’est aussi un message d’espoir que certains veulent voir dans la disparition de celui qui fut, pour le meilleur et pour le pire, l’un des visages les plus emblématiques de la crise anglophone. À la communauté internationale, au gouvernement camerounais et aux séparatistes de saisir cette occasion pour prouver qu’un autre avenir est possible. Les populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, elles, n’attendent que ça.