(Investir au Cameroun) – Plus de cinq ans après l’incendie de mai 2019 qui a détruit une partie des installations de la Société nationale de raffinage (Sonara), environ 75 % des équipements endommagés peuvent être récupérés. Cette information a été rendue publique fin novembre 2025 par le ministre de l’Eau et de l’Énergie, Gaston Eloundou Essomba, devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, à l’occasion de la défense du budget 2026 de son département.
Le ministre a rappelé que la Sonara a engagé deux études déterminantes pour sa remise en état après le sinistre. « La Sonara a lancé deux études clés pour sa réhabilitation après le sinistre : une étude de faisabilité détaillée (APS) menée par l’entreprise Axens (contrat signé le 27 février 2025 pour 42 semaines). Elle est en cours et vise à sélectionner la configuration finale de la raffinerie et à estimer son coût d’investissement (Capex) ; et une évaluation préliminaire des installations sinistrées réalisée par Ekiun Ltd (du 16 au 23 juillet 2025), et qui conclut dans son rapport qu’environ 75 % des équipements sont récupérables et réutilisables », a indiqué le membre du gouvernement.
La possibilité de récupérer la majorité des équipements de l’unique raffinerie de pétrole brut du Cameroun devrait, en théorie, réduire le coût de la réhabilitation par rapport à une reconstruction intégrale. Initialement évalué à 250 milliards de FCFA, l’investissement nécessaire pour remettre la Sonara à flot a été porté à 300 milliards de FCFA, soit une hausse de 20 %, selon le Premier ministre. Le 26 novembre 2025, lors de la présentation du programme économique, financier, social et culturel du gouvernement pour l’exercice 2026, Joseph Dion Nguté a d’ailleurs mentionné, dans le bilan 2025, « la réalisation d’une étude de faisabilité détaillée par l’entreprise française Axens, en vue de la réhabilitation de la Sonara pour un coût total de 300 milliards de FCFA ».
Une entreprise lourdement endettée
D’après les précisions apportées par le ministre de l’Eau et de l’Énergie devant la commission des finances, ce montant révisé de 300 milliards de FCFA intègre à la fois les travaux de réhabilitation de l’outil industriel et un volet de restructuration de cette société publique. Gaston Eloundou Essomba détaille : le « plan soumis au gouvernement repose sur trois axes : recapitalisation de l’entreprise et recherche d’un partenaire pour le financement, réhabilitation de l’outil de production à sa configuration d’avant sinistre, et mise en œuvre d’un plan d’organisation et de mise à niveau des compétences. Le financement dudit plan est estimé à 300 milliards de FCFA… ».
Baptisé Plan d’accélération des mesures de restructuration et de réhabilitation pour la reprise du raffinage sous 24 mois (Parras 24), ce dispositif vise une remise en service de l’outil de production d’ici 2027. Il doit cependant être déployé dans un contexte d’endettement massif. Après la reprise par l’État de la dette fiscale de la Sonara, soit 145,5 milliards de FCFA, la raffinerie doit encore 261 milliards de FCFA aux banques. Cette dette bancaire est rééchelonnée depuis 2021 sur dix ans, au taux de 5,5 %. Les mêmes conditions ont été appliquées au rééchelonnement, finalisé en 2023, d’une dette de 312 milliards de FCFA à fin avril 2021, réclamée par des traders à la Sonara.
Pour sécuriser le remboursement de ces dettes, vis-à-vis tant des banques que des traders, le gouvernement a institué un prélèvement de 47,8 FCFA sur chaque litre de carburant vendu à la pompe. Les recettes de ce prélèvement sont cantonnées dans un compte séquestre ouvert à la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). Ce mécanisme a permis de mobiliser 479 milliards de FCFA au 31 octobre 2025, soit une progression de 126 milliards de FCFA en glissement annuel, selon le pointage officiel. À en croire le ministre Eloundou Essomba, ces ressources serviront également de garantie au Parras 24.
L’intérêt prononcé des institutions financières
Ce dispositif de garantie semble rassurer les investisseurs. Ces derniers mois, plusieurs institutions financières ont manifesté un intérêt marqué pour le financement de la réhabilitation et de la restructuration de la Sonara. Le 17 juin 2025, une délégation regroupant des représentants de l’Union de Banques Arabes et Françaises (UBAF), de la banque néerlandaise ING et de la Mauritius Commercial Bank (MCB) s’est rendue au siège de la Sonara à Limbé pour s’entretenir avec les responsables de l’entreprise. Objectif affiché : « propulser la raffinerie vers un avenir prometteur », selon des sources officielles.
La BEAC s’est également dite prête à mobiliser son guichet B, « réservé au refinancement des crédits à moyen terme destinés à l’investissement productif ». « Je confirme que ce guichet a pour vocation de financer les projets dans le secteur productif. D’ailleurs, pour le cas de la Sonara, nous avons nous-mêmes pris l’initiative de nous rapprocher des autorités pour leur présenter cet instrument qui pourrait accompagner la réhabilitation de la Sonara », a indiqué le gouverneur de la BEAC, Yvon Sana Bangui, le 29 septembre 2025, lors de la conférence de presse de clôture de la 3ᵉ session du Comité de politique monétaire (CPM) pour l’exercice 2025.
Au-delà du bilan de la Sonara, les enjeux sont macroéconomiques. La réhabilitation de la raffinerie est considérée comme stratégique pour l’économie camerounaise et, au-delà, pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac : Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad et RCA). Le retour à la production permettrait de réduire la dépendance aux importations de produits pétroliers finis et de limiter l’érosion des réserves en devises de la sous-région. Selon les autorités communautaires, les importations massives de produits pétroliers finis constituent le principal moteur de cette érosion.
La menace du risque monétaire
Faute de raffinerie opérationnelle, le Cameroun a importé près de 1,8 million de tonnes métriques (TM) de produits pétroliers entre janvier et octobre 2025, selon le gouvernement. Sur ce volume, près de 1,6 million de TM correspondent au super, au gasoil et au pétrole lampant, contre 208 210 TM de gaz domestique. Ces achats, chiffrés à plusieurs milliards de FCFA, fragilisent les avoirs en devises du Cameroun, mais aussi ceux des autres pays de la Cemac.
En vertu des accords qui lient la France aux États de la Cemac, les réserves de change de la communauté sont centralisées dans un compte unique, le « compte d’opérations », et servent à financer solidairement les importations de biens et services. Toute pression accrue sur ces avoirs expose donc l’ensemble de la sous-région à des tensions de trésorerie pour les paiements à l’étranger et peut, en cas de dégradation prolongée, conduire à un ajustement monétaire – notamment une dévaluation – si le niveau des réserves franchit un seuil critique.
Brice R. Mbodiam
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