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Serge Boyogueno : « la Sonamines peaufine en ce moment sa stratégie, pour reprendre le projet » de rutile d’Akonolinga


(Investir au Cameroun) – De retour d’une mission sur le site de ce projet minier, le directeur général de la Société nationale des mines (Sonamines) s’est confié à Investir au Cameroun. Il revient notamment sur les objectifs de cette descente sur le terrain, détaille les causes de l’abandon du projet par le groupe français Eramet, et révèle les ambitions de l’entreprise publique chargée de la gestion des intérêts de l’Etat du Cameroun dans le domaine de la mine solide, sur ce projet jugé non rentable par son dernier développeur. 

Investir au Cameroun : vous avez récemment conduit à Akonolinga une mission dite d’évaluation et de prise en main des installations mises en place par le groupe minier Eramet, dans le cadre du projet d’exploitation du gisement de rutile qu’abrite cette localité. Est-ce à dire que la Sonamines ambitionne de reprendre ce projet, à la suite du retrait d’Eramet ?

Serge Boyogueno : Permettez-moi de rappeler d’entrée de jeu que la Société nationale de mines (Sonamines) a été créée avec pour mission principale de « développer et de promouvoir le secteur minier au Cameroun, à l’exception des hydrocarbures et des substances des carrières, et de gérer les intérêts de l’Etat dans ce domaine ». La loi n°2023/014 du 19 décembre portant Code minier, quant à elle, dispose en son article 38 que « les sites contenant des gisements antérieurement mis en évidence et abandonnés ou retirés à leur découvreur sont systématiquement rétrocédés à l’organisme public dûment mandaté ».

En sa qualité de mandataire de l’Etat dans le secteur minier, il est de bon ton pour la Sonamines de se déployer sur le fondement de l’article 38 précité, en vue d’une appropriation et d’une réorientation stratégique du projet de rutile d’Akonolinga. C’est ce qui a justifié la mission de reconnaissance de certains sites, objets des travaux majeurs réalisés par Eramet. Il s’est notamment agi du lieu de préparation des échantillons, jusqu’au mini atelier de production du pré-concentré appelé « MBAPE », que nous ambitionnons de reprendre en main.

IC : Le groupe Eramet a trouvé ce projet pas du tout rentable, au regard des investissements à consentir. Que va faire la Sonamines sur un projet jugé non rentable par son dernier développeur ?

SB : Pour répondre à cette question, il important de savoir d’entrée de jeu qui est le groupe Eramet. Il s’agit du premier producteur mondial de manganèse. Eramet développe en ce moment dans le Sud du Gabon voisin, la plus grande mine de manganèse au monde. C’est pour vous dire quels sont les standards de ce groupe en matière d’exploitation minière.  

En ce qui concerne le rutile d’Akonolinga, au regard de la quantité des ressources découvertes, de la durée d’exploitation de celles-ci, de la disparité de cette ressource, de la spécificité du relief de la localité, qui est une plaine inondable entraînant des coûts énormes liés à l’environnement et autres, selon les standards de la société, Eramet a estimé que ce projet est en effet non rentable. A titre d’illustration, les conclusions des études réalisées par Eramet ont indiqué une production moyenne de 350.000 tonnes par an sur seulement cinq (05) années, alors que sa filiale Grande Côte Opération (GCO) du Sénégal produit les sables minéralisés depuis dix (10) ans, avec des volumes qui ont par exemple atteint 800.000 tonnes en 2021 et 628.000 tonnes en 2023.

Sur cette base, vous conviendrez avec moi que pour le site d’Akonolinga, il ne s’agit pas seulement de rentabilité du projet, mais beaucoup plus du fait que le site ne répond pas aux standards de ce groupe minier, qui est respectivement premier, quatrième et cinquième producteur mondial de manganèse, de zircon et de matières premières titanifères à haute teneur, entendez par là le rutile, le leucoxène et l’ilménite.

Il ne faut pas également perdre de vue la teneur de coupure économique (teneur minimale au-dessus de laquelle le gisement est économiquement exploitable, en fonction des coûts d’extraction spécifiques au gisement et des prix actuels ou estimés du minerai extrait, Ndlr) utilisée par Eramet, pour valider ses ressources et ses estimations. Sur le projet d’Akonolinga, celle-ci est plus élevée que celle utilisée par certaines sociétés d’un calibre inférieur à Eramet, pour qualifier la ressource dans des projets similaires. En effet, plus la teneur de coupure économique est élevée, plus la rentabilité baisse. Cela va sans dire que si un investisseur veut reprendre le projet avec les mêmes standards qu’Eramet, les mêmes contraintes minières, il ne trouvera pas le projet intéressant pour lui.

Par contre, un autre investisseur, sur la base des études réalisées, peut adopter d’autres standards pouvant rendre le même projet économiquement rentable, en minimisant les coûts des investissements, en adoptant notamment un autre type d’exploitation et des méthodes de production différentes, etc.

C’est en tenant compte de tous ces facteurs que la Sonamines peaufine en ce moment sa stratégie, de sorte à reprendre le projet, pour non seulement redonner espoir aux populations de ladite localité, mais aussi mener une exploitation qui puisse être rentable et bénéfique à tous.

IC : Concrètement, comment la Sonamines compte-t-elle lever les contraintes environnementales relevées par Eramet, et que vous venez vous-mêmes d’évoquer ?

SB : Selon Eramet, les études du gisement ont montré la présence très importante de particules ultrafines devant inéluctablement impacter dangereusement l’environnement et la biodiversité. Ce qui entraîne un risque environnemental qui ne peut être mitigé que par des investissements très importants, et qui rendent de ce fait le projet non rentable. Mais, comme nous l’avons dit plus haut, il s’agit des standards de la société Eramet et du type d’exploitation choisi. Nous sommes conscients de tous cela, et c’est la raison pour laquelle avec les partenaires qui frappent à notre porte pour ce projet, nous allons mener également nos propres études. Reprendre le projet ne signifie pas forcément que vous allez y aller sans mener un certain nombre de travaux préalables. Après cette phase, nous allons pouvoir nous prononcer en connaissance de cause. Mais, toujours est-il que ce projet est intéressant pour nous et nous avons déjà d’ailleurs entamé la quête des investisseurs.

IC : Parlant des investisseurs, quelles sont les différentes options de financement que vous envisagez, étant donné que la Sonamines n’est pas encore une entreprise financièrement robuste ?

SB : Comme je vous l’ai dit supra, le préalable pour la Sonamines est d’avoir la parfaite maîtrise du projet, et d’arrêter un mode d’exploitation rentable. En tout état de cause, nous avons déjà élaboré plusieurs stratégies de financement et de développement des projets miniers. L’une d’elle serait, par exemple, de former une joint-venture (Sonamines-Partenaire) pour l’exploitation de cette ressource. Il sera alors question de mettre en place une société d’exploitation, au sein de laquelle la Sonamines et le partenaire auront des actions arrêtées d’accord parties, suivant leurs capacités financières et techniques, et se partageront les bénéfices au prorata de leurs actions. Pour ce cas précis, plusieurs stratégies existent également pour financer la contrepartie de la Sonamines dans la joint-venture.

Toutefois, la Sonamines reste ouverte à d’autres modes de financement, l’essentiel étant de développer le projet pour en faire bénéficier les retombées à l’Etat et aux communautés riveraines.

Entretien avec Brice R. Mbodiam

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