(Investir au Cameroun) – Fondateur du cabinet JMJ Africa, désigné en 2024 meilleur conseil en investissement au Cameroun par l’Agence de promotion des investissements (API), ce juriste de formation, ancien banquier et ex-responsable pour l’Afrique francophone corporate finance et financement des infrastructures chez KPMG, est aussi vice-président de la Commission industrie du Groupement des entreprises du Cameroun (Gecam). Dans cet entretien, il analyse les ressorts et les chances de succès de la réforme de la Société nationale des investissements (SNI), le bras séculier de l’État du Cameroun dans la promotion d’un secteur productif robuste.
Investir au Cameroun : Le 10 juillet 2024, le chef de l’État a signé un texte transformant la Société nationale d’investissement (SNI) en entreprise à capital public arrimée au droit Ohada, dotée de compétences beaucoup plus étendues en matière de promotion de l’investissement public dans le secteur productif. Quelle appréciation le conseil en investissement que vous êtes fait-il de cette réforme ?
Patrice Yantho : la SNI reformée, confiée à des mains expertes, sera inéluctablement un maillon complémentaire attendu dans l’écosystème de l’investissement en construction au Cameroun. Elle devrait apporter une diversification plus efficiente de l’offre de financement des investissements dans le secteur productif, voire la compétitivité souhaitée de ce secteur-là, en vue d’une transformation structurelle de l’économie nationale.
Cette déclinaison de la SNI, à la lumière des nouveaux textes, est une aubaine en ce qu’elle devrait permettre le reversement des fonds de l’État dans le marché de l’investissement et le marché financier, afin de massifier la circulation monétaire grâce à l’investissement. Il faut noter que la circulation monétaire est vectrice de réduction de la pauvreté, création de richesses et des emplois, et génératrice de revenus fiscalo-douaniers pour l’État.
Toutefois, de notre modeste point de vue, la reforme aurait dû également absorber la structure en charge des partenariats publics-privés (PPP), qui est le CARPA (Conseil d’appui à la réalisation des contrats de partenariat). Cela aurait pu, à notre avis, garantir plus de succès au financement public de certaines infrastructures dans le pays en PPP.
Grâce à cette réforme, la SNI opère un virage à 360°, pour pouvoir couvrir les besoins de financement des entreprises, y compris celles souvent rejetées par les banques (les start-ups, les entreprises en phase d’amorçage et celles en difficulté), qui préfèrent toujours financer les entreprises en phase de croissance et de maturité.
Cette réforme a également le mérite, par souci d’efficacité et d’efficience justifié, d’avoir fusionné des organismes épars et à productivité questionnable, opérant sur les problématiques de privatisation et de restructuration des entreprises. Toutefois, de notre modeste point de vue, la reforme aurait dû également absorber la structure en charge des partenariats publics-privés (PPP), qui est le CARPA (Conseil d’appui à la réalisation des contrats de partenariat). Cela aurait pu, à notre avis, garantir plus de succès au financement public de certaines infrastructures dans le pays en PPP.
IC : À votre avis, à travers la réforme de la SNI, l’État du Cameroun a-t-il trouvé la bonne formule pour se repositionner plus efficacement sur l’investissement dans le secteur productif ? Sinon, qu’auriez-vous pu suggérer en plus de ce qui vient d’être fait ?
PY: L’offre de la SNI new-look viendra renforcer la construction de l’écosystème de l’investissement en cours au Cameroun, et qui comporte déjà un dispositif d’incitations à l’investissement, des institutions de garantie et de financement, une place boursière, un cadre réglementaire des affaires, une stratégie nationale de développement et des plans directeurs.
Nos suggestions complémentaires relèvent de l’amélioration du climat des affaires. Nous pensons, par exemple, qu’il faut fédérer le dispositif d’incitations à l’investissement pour en faire un guichet unique. Jusqu’ici, ce dispositif est constitué d’organismes épars, notamment l’Agence de promotion des investissements (API), l’Agence de promotion des PME (APME), l’Office national des zones franches industrielles (ONZFI), le Conseil d’appui à la réalisation des contrats de partenariat (CARPA), les zones économiques…
Par ailleurs, il est impératif d’opérationnaliser les fonds de garantie, améliorer la sécurité foncière, sécuriser les investisseurs et les investissements réalisés, agir sur les facteurs de viabilité et de compétitivité des entreprises, taxer les dépôts dormant pour booster la circulation monétaire et le secteur productif, garantir une bonne gouvernance, accélérer les décisions de justice en droit des affaires (au Rwanda, une juge n’a pas plus de six mois pour trancher une affaire).
IC : Après avoir été très offensive à ses débuts, avec des prises de participations dans plusieurs entreprises, dont certaines sont à l’arrêt aujourd’hui, la SNI est devenue par la suite quasiment atone en matière d’investissement, avec un portefeuille d’entreprises dont les performances ne sont pas des plus reluisantes. Selon vous, quels sont les préalables à respecter pour un décollage efficient de la SNI new-look ?
PY: D’entrée de jeu, il faut maintenir l’amélioration de l’attractivité du Cameroun en termes d’investissements. Notamment à travers un cadre réglementaire toujours incitatif, une politique fiscalo-douanière garantissant la compétitivité des entreprises, les infrastructures énergétiques et le coût de l’énergie, l’élaboration et le respect des normes… Il est évident que la SNI ne sera pas seule créatrice des richesses pour un marché de l’investissement dynamique, il faut également des acteurs nationaux et étrangers, tous porteurs de capitaux licites.
Il faut également s’assurer de la qualité des dirigeants et des ressources humaines : elles doivent être compétentes, qualifiées, expérimentées et capables d’implémenter et d’opérationnaliser la nouvelle vision. Puisqu’il s’agit d’une activité réservée aux initiés, il importe d’opérer un mix des ressources humaines issues du secteur privé, du public et du marché de l’investissement. Ce qui devrait permettre une efficacité et une efficience certaines. Car, les errements dans le secteur de l’investissement se payent cash.
Il est nécessaire pour la nouvelle SNI d’obtenir une notation financière pour être crédible et attractive en matière de mobilisation des capitaux, tout comme il est important pour cette nouvelle structure de mettre en place des synergies opérationnelles pour créer un écosystème dynamique entre acteurs de l’investissement et du marché financier, dans l’optique de booster l’investissement répétitif et cyclique.
Par ailleurs, la nouvelle SNI doit se structurer en tenant compte de la Stratégie nationale d’investissement à l’horizon 2030 (SND30) et ses plans subséquents. Ce qui permettra d’assurer l’adéquation entre la vision, les objectifs, les moyens et les résultats escomptés. De ce point de vue, il faut souligner que les solutions proposées pour développer le secteur productif doivent impérativement être adaptées aussi bien à la taille des entreprises (petites, moyennes, grandes) qu’aux différentes phases de leur cycle de vie (amorçage, croissance, maturité, déclin, liquidation).
Enfin, il est nécessaire pour la nouvelle SNI d’obtenir une notation financière pour être crédible et attractive en matière de mobilisation des capitaux, tout comme il est important pour cette nouvelle structure de mettre en place des synergies opérationnelles pour créer un écosystème dynamique entre acteurs de l’investissement et du marché financier, dans l’optique de booster l’investissement répétitif et cyclique.
IC : Le portefeuille actuel de la SNI est plutôt diversifié. Quels peuvent être les secteurs dans lesquelles cet investisseur public gagnerait à aller conquérir de nouveaux relais de croissance, selon vous ?
PY: Premièrement, la SNI a vocation à participer au financement de la Stratégie nationale de développement. Ses priorités de l’heure doivent donc être celles de la SND30. Elle devra ensuite, de notre point de vue, s’attaquer aux secteurs de souveraineté, géostratégique et à forte rentabilité. Dans tous les cas, les infrastructures, l’énergie, les télécommunications, la mine, l’agro-industrie, les nouvelles technologies, la recherche et développement, l’intelligence économique… sont tous autant de secteurs importants pour booster le secteur productif, les performances socio-économiques durables et pérennes.
IC : Dans quelle mesure la nouvelle SNI peut-elle être un catalyseur du développement des start-ups, parfois très prometteuses, mais généralement en panne de financements ?
PY : Selon l’institut national de la statistique (INS), le taux de mortalité des entreprises au Cameroun est de 94,6% tous les 5 ans. Parmi les entreprises qui disparaissent ainsi, plus de 55% sont des start-ups. Outre les projets mal structurés et l’impréparation des promoteurs, l’accès au financement pour ces entreprises reste critique, en raison de la préférence des banques pour les entreprises en phase de croissance et de maturité, au détriment des starts-ups et des d’entreprises en difficulté. L’environnement des start-ups au Cameroun était donc demandeur de solutions complémentaires aux banques.
Humblement, je m’interroge d’abord sur la pertinence qu’il y a à recourir à une capitalisation aussi importante d’une société d’État, alors même qu’il y a des actifs existants non productifs, qu’il faut simplement rendre productif, viables, ou alors s’en dessaisir pour renflouer les caisses pour un réemploi. S’appuyer sur des acquis positifs est une base importante.
À la lumière des textes de la nouvelle SNI, nous observons avec plaisir que les solutions appropriées existent pour différentes catégories d’entreprises. Il s’agit notamment du capital-risque, qui permettra à la SNI de financer les start-ups ; du capital-retournement, qui permettra la reprise des entreprises en difficulté ; puis du capital-développement, qui permettra d’accompagner et de soutenir les entreprises en phase de croissance.
IC : La réforme de la SNI consacre un renforcement des capitaux de cette société à hauteur de 200 milliards de FCFA à libérer progressivement sur 4 ans sur le budget de l’État, par tranches de 50 milliards de FCFA. À cette allure, le financement ne peut-il pas devenir le premier obstacle au démarrage de la SNI new-look ?
PY : Humblement, je m’interroge d’abord sur la pertinence qu’il y a à recourir à une capitalisation aussi importante d’une société d’État, alors même qu’il y a des actifs existants non productifs, qu’il faut simplement rendre productif, viables, ou alors s’en dessaisir pour renflouer les caisses pour un réemploi. S’appuyer sur des acquis positifs est une base importante.
Ensuite, on peut mutualiser les actifs financiers oisifs de l’État pour les reverser dans le marché de l’investissement via la nouvelle SNI, en garantissant au retour sur investissement et des impacts socio-économiques durables. Ceci passe par une bonne politique d’appréciation et de gestion des risques.
Enfin, 200 milliards de FCFA peuvent bien être trouvés sur le marché financier sous-régional, auprès des acteurs privés et des entreprises publiques. En effet, si les garanties de bonne gouvernance sont assurées, les détenteurs de capitaux seront volontaires pour placer leurs actifs financiers à la SNI new-look.
Par ailleurs, moins la SNI new-look sera dépendante de l’État au plan opérationnel, plus elle sera autonome et prospère. Puisqu’il faut de l’agilité, de la vivacité, de la flexibilité et de la rigueur dans l’appréciation des risques à prendre. C’est donc prioritairement une question d’aptitude managériale et de gouvernance, assise sur des valeurs et autres standards.
IC : Le texte réformant la SNI lui assigne des missions d’intermédiation en bourse et de gestion d’actifs, au moment où l’on observe un manque de dynamisme du marché financier sous-régional. Quel peut être le rôle de la SNI dans le développement de la Bvmac, dans la mesure où les activités sur ce marché dépendent étroitement de la météo économique au Cameroun, pays qui abrite 40% du tissu industriel de la Cemac (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad et RCA) ?
PY: La SNI new-look aura indubitablement une grande capacité de mobilisation des capitaux, aussi bien du secteur public que privé, et même de l’étranger. Par conséquent, elle sera capable d’impulser la multiplication des transactions sur les instruments du marché financier que sont les actions et les obligations. Par le financement de l’investissement, elle pourra booster les entreprises cotées. Toutefois, il faut maintenir l’éducation financière et le renforcement de la culture boursière auprès des entreprises.
Elle se doit donc d’affirmer son leadership dans la zone Cemac, en incitant à la mutualisation des capitaux pour des projets sous-régionaux à forte valeur ajoutée. Car, unis dans un marché commun, l’éveil industriel et socio-économique sous régional est à espérer.
Entretien avec Brice R. Mbodiam