Une révolution silencieuse s’apprête à transformer le paysage foncier camerounais à partir du 1er juillet 2025. Dans une décision historique, le ministre Henri EYEBE AYISSI vient d’annoncer que toute demande d’immatriculation ou de concession foncière de 20 hectares ou plus devra désormais obtenir une « lettre de non-objection » signée par un chef traditionnel de 1er ou 2e degré. Cette réforme majeure du système foncier national redessine complètement l’équilibre des pouvoirs dans un secteur crucial pour l’économie et le développement social du pays. Avec plus de 78% des litiges judiciaires au Cameroun liés aux conflits fonciers, cette mesure pourrait marquer un tournant décisif dans la gouvernance territoriale.
Alors que l’accaparement des terres est devenu un fléau national, cette reconnaissance officielle du pouvoir coutumier annonce-t-elle une nouvelle ère de justice foncière ou simplement une couche administrative supplémentaire?
Autorités traditionnelles et terres : un rééquilibrage stratégique sans précédent
Cette réforme intervient dans un contexte tendu où les communautés locales se voient régulièrement dépossédées de leurs terres ancestrales au profit de grands projets d’investissement. En réintégrant officiellement les chefs traditionnels dans le processus décisionnel, le gouvernement reconnaît implicitement l’échec partiel du système purement administratif mis en place depuis l’indépendance.
«Cette mesure vise à freiner l’accaparement des terres, prévenir les conflits fonciers et garantir les droits des communautés locales», a précisé le ministre EYEBE AYISSI lors de l’annonce officielle. Une déclaration qui résonne comme un aveu des dérives du système actuel.
L’innovation principale réside dans cette « lettre de non-objection » qui devient un document obligatoire pour toute transaction importante. Sa mise en œuvre concrète soulève néanmoins des questions pratiques : quels critères guideront les décisions des chefs? Comment seront gérés les éventuels conflits entre autorités traditionnelles et administratives?
Selon Maître Tchouamo, avocat spécialisé en droit foncier à Douala : «Cette réforme constitue potentiellement la plus importante révision de notre système foncier depuis des décennies. Elle pourrait soit renforcer considérablement les droits des communautés, soit créer un nouveau foyer de corruption si elle n’est pas correctement encadrée.»
Gouvernance foncière camerounaise : entre espoirs et inquiétudes légitimes
Cette réorientation politique semble également motivée par des pressions externes. Plusieurs partenaires au développement, dont la Banque Mondiale, ont régulièrement exprimé leurs préoccupations concernant la gouvernance foncière au Cameroun. La réforme pourrait ainsi être interprétée comme un signal envoyé à ces institutions financières, rassurées par une approche plus inclusive.
Les impacts potentiels de cette mesure divisent déjà les experts. Pour certains, comme le professeur Ngono de l’Université de Yaoundé I, «cette réforme reconnecte enfin notre système juridique moderne avec nos réalités sociologiques profondes. Le chef traditionnel a toujours été le gardien légitime des terres dans l’inconscient collectif camerounais.»
D’autres observateurs pointent toutefois un risque de bureaucratisation accrue et d’éventuels abus. Avec 37% des chefferies traditionnelles actuellement contestées selon le ministère de l’Administration territoriale, l’ajout de ce nouveau pouvoir pourrait exacerber certaines tensions locales.
La mise en œuvre effective de cette réforme nécessitera une clarification précise des procédures et une transparence renforcée. Des questions pratiques demeurent : comment seront tranchés les différends entre chefs traditionnels? La réforme s’accompagnera-t-elle d’une modernisation des systèmes d’information foncière?
À l’heure où le Cameroun tente de dynamiser son développement économique tout en préservant sa cohésion sociale, cette réforme audacieuse pourrait-elle représenter un modèle innovant de gouvernance hybride, alliant modernité administrative et sagesse traditionnelle?