(Investir au Cameroun) – Les gisements de fer de Nkout (2,7 milliards de tonnes) et de Ntem (98 millions de tonnes), dans le Sud du Cameroun, sont au cœur d’une bataille juridique et financière. Au centre du conflit se trouve Cameroon Mining Exploration (Caminex), société de droit camerounais chargée de l’exploration de ces sites et filiale du groupe britannique en faillite International Mining and Infrastructure Corporation (IMIC).
Le contrôle de Caminex oppose deux camps : la Libyan Foreign Bank (LFB), filiale de la banque centrale libyenne et principal créancier d’IMIC et représenté par Elias Pungong, et Caisse Capital Ltd, société d’investissement du milliardaire camerounais Colin Mukete, également l’un des financiers du groupe britannique.
Au cœur du litige : la légitimité légalité de la LFB à reprendre les actions de IMIC dans Caminex et la réalité des financements investis dans l’exploration des gisements de Nkout et Ntem.
Reprise controversée du capital
Selon Elias Pungong, la prise de contrôle du capital de Caminex par la LFB est consécutive à une décision de justice. En effet, ayant fait faillite, IMIC ne pouvait plus rembourser ses créances, soutient-il. La Libyan Foreign Bank, principal créancier, a alors saisi la justice londonienne qui s’est prononcée pour le rachat de toutes les actions d’IMIC, faisant de la banque libyenne l’actionnaire majoritaire de Caminex.
Une version contestée par d’autres créanciers, dont Caisse Capital. Son avocat, Me Etah, affirme que « le tribunal de Londres s’est limité à prononcer la liquidation d’IMIC et à désigner un liquidateur ». En droit, insiste-t-il, seul un tribunal camerounais pouvait se prononcer sur les actions d’une société locale comme Caminex. « En affirmant le contraire, M. Pungong a menti, et nous comptons l’assigner pour déclaration mensongère », promet l’avocat de Caisse Capital.
Senior debt
Toujours selon Me Etah, le tribunal de Londres n’aurait de toute façon jamais pu attribuer les actions querellées de Caminex à la LFB, puisque celle-ci n’était qu’un créancier parmi d’autres d’IMIC. « En réalité, LFB savait parfaitement qu’un autre créancier existait au Cameroun : Caisse Capital, qui avait injecté 5 millions de dollars dans le projet. D’ailleurs, LFB a bien pris contact avec nous et des discussions ont eu lieu. Comment expliquer, dans ces conditions, que la banque veuille aujourd’hui s’accaparer seule les actifs de IMIC dans Caminex ? »
En réponse, Elias Pungong indique que la créance de 200 millions USD détenue par la LFB sur IMIC justifiait un statut de « senior debt », autrement dit prioritaire. « Faux », rétorque Me Etah : « En droit, ce n’est pas le montant qui fait foi, mais structuration et les garanties. Une banque qui prête 10 millions avec hypothèque passe avant celle qui prête 100 milliards sans aucune sûreté », illustre-t-il.
Dans une lettre datée du 22 novembre 2024 et adressée au ministre intérimaire des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique, Fuh Calistus Gentry, Me Etah Akoh, du cabinet Etah-Nan & Co, a signifié à l’autorité tutélaire du secteur minier que « l’intrusion de la LFB dans les affaires de Caminex ne repose sur aucune base légale ».
Dissonance sur les investissements
Selon la LFB, les investissements consentis par IMIC dans les activités de recherche de Nkout et de Ntem au Cameroun se chiffrent à plus de 400 millions USD, soit environ 224 milliards FCFA (à la valeur actuelle du dollar). Cet argent proviendrait des crédits contractés par IMIC pour financer les activités de Caminex. Dans les documents présentés au gouvernement camerounais, la partie libyenne revendique l’essentiel de ces investissements, selon nos sources. Par ailleurs elle reconnait une créance de 5 millions de USD dus à Caisse Capital par IMIC.
Contacté par Investir au Cameroun, Elias Pungong déclare plutôt que la LFB a accordé près de 200 millions USD de prêts à IMIC et à sa filiale Affero Mining. Il affirme aussi que IMIC a levé 200 millions USD à la Bourse de Londres pour financer ses activités au Cameroun. À l’en croire, ce sont au total plus de 400 millions USD qui ont été investis dans le pays. Ces fonds ont servi à couvrir l’acquisition d’engins, les frais de siège et les études d’exploration sur les deux sites miniers, explique celui qui officie par ailleurs comme consul honoraire de Grande-Bretagne à Douala.
Mais ces chiffres divergent de ceux avancés par Gordon Partnership, le cabinet d’avocats conseil d’IMIC. Dans une correspondance datée du 21 février 2018 et adressée à la LFB, ce cabinet londonien dresse la situation créancière de son client. « En résumé, IMIC doit à LFB environ 81 millions USD et à d’autres créanciers 70 millions de dollars. Sa filiale Affero doit à LFB près de 94 millions USD », lit-on. En d’autres termes, les emprunts contractés par IMIC s’élèveraient à 245 millions USD (137, 2 milliards de FCFA), dont 175 millions de créances détenues par la LFB. A noter que le cabinet ne fait aucune mention des 200 millions USD qu’IMIC aurait levés à la bourse.
En résumé, la LFB affirme que plus de 400 millions USD ont été investis dans Caminex. Mais le cabinet Gordon Partnership, conseil d’IMIC, estime l’endettement réel à 245 millions USD, dont 175 millions dus à la LFB. L’écart de 155 millions USD reste inexpliqué et alimente les soupçons de fraude.
Soupçons de fraude
Pour Caisse Capital, les 400 millions USD d’investissements avancés par la LFB, via la voix d’Elias Pungong, relèvent de la fraude. Selon elle, aucune preuve tangible n’a jamais été apportée sur ces prétendus financements de la LFB à travers IMIC dans Caminex. « Un projet minier qui reçoit 224 milliards de FCFA laisse forcément des traces visibles. Or, au moment de la faillite d’IMIC, Caminex croulait sous plus de 2 milliards de FCFA de dettes fiscales, 160 millions de salaires impayés, avait perdu ses bureaux et tenté de vendre quelques véhicules pour rémunérer ses employés. Son effectif se limitait à quelques travailleurs abandonnés en brousse, faute de salaire. Est-ce là le visage d’une société qui aurait absorbé près de 400 millions de dollars ? Certainement pas », déclare Me Etah Akoh David.
Pour certains actionnaires originels de Caminex, les 175 millions USD empruntés par IMIC et Affero Mining pour le projet Caminex n’ont jamais été utilisés dans leur intégralité. Du moins, la réalité du terrain (niveau des travaux, qualité des équipements, immobilisations matérielles) ne reflète pas un investissement d’une telle ampleur. En réalité, seule une infime partie de ce prêt a véritablement financé les recherches minières. La plus grosse part de ces fonds reste à justifier, d’autant plus que Caminex n’était encore qu’au stade de la recherche minière.
Une position que partage totalement Caisse Capital. « Sur la base de mon expérience d’avocat dans ce secteur, les charges mensuelles d’une telle société ne dépassent pas 30 à 50 millions de FCFA. Sur trois ans, même en incluant les analyses en laboratoire à Londres ou au Canada, les dépenses ne pouvaient excéder 15 milliards de FCFA par permis. Comment expliquer alors les 224 milliards FCFA annoncés par la LFB ? Ces chiffres sont invraisemblables. »
Avenir en pointillés…
Toujours est-il que la LFB revendique un rôle central dans la gestion des permis camerounais et tente de convaincre Yaoundé de lui accorder une convention minière.
Or, pour Caisse Capital, il ne s’agit là que d’une manœuvre visant à effacer son propre statut de créancier. L’entreprise de Colin Mukete affirme que ses 5 millions de dollars prêtés à IMIC doivent lui ouvrir droit à une participation dans une future convention. Elle s’oppose fermement à ce qu’un accord soit signé au bénéfice exclusif de Caminex et de la LFB, qu’elle accuse d’avoir gonflé artificiellement ses apports. « LFB n’est pas une société minière. Sa stratégie consiste à tromper le gouvernement camerounais, puis à trouver un repreneur qui rachètera Caminex afin de récupérer les 400 millions USD qu’elle prétend avoir investis. Or, cet investissement est fictif », charge Me Etah.
Malgré ces contestations, le ministère des Mines semble favorable à la reprise des discussions avec Caminex et la LFB. Une perspective qui alarme Caisse Capital : son avocat menace de saisir la justice camerounaise et internationale pour faire annuler toute convention qui serait signée dans ces conditions. « LFB et M. Pungong peuvent chercher à obtenir une convention minière avec l’appui du gouvernement. Je ne peux les en empêcher. Mais je peux, et je vais, initier une procédure judiciaire pour annuler toute convention signée sur des bases aussi mensongères. Et une fois la procédure engagée, aucun bailleur sérieux ne prendra le risque de financer ce projet », soutient Caisse Capital à travers son conseil juridique.
Au-delà de ce bras de fer entre créanciers, c’est l’avenir de deux importants gisements de fer du Cameroun qui reste en suspens. Le gouvernement, sollicité par la LFB pour une convention minière, devra arbitrer un dossier qui engage non seulement des millions de dollars, mais aussi la crédibilité du climat des affaires du pays.
Baudouin Enama et Frédéric Nonos
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