View Kamer

Ethiopis Tafara (SFI) : « Notre priorité est de soutenir la création d’emplois durables »


(Investir au Cameroun) – La Banque mondiale a organisé, en mai dernier à Brazzaville, au Congo, une série de réunions avec plusieurs acteurs économiques de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), dont des ministres des Finances de cette zone. Suite à ces rencontres, Ethiopis Tafara, le vice-président régional pour l’Afrique de la Société financière internationale (SFI ou IFC en anglais) s’est confié à l’Agence Ecofin.

Agence Ecofin : Quels projets phares la SFI soutient-elle dans la CEMAC pour booster l’économie ?

Ethiopis Tafara : Bras armé du groupe Banque mondiale au service du secteur privé, la SFI accompagne la dynamique de transformation économique de la région CEMAC en catalysant les investissements dans des secteurs à fort potentiel d’impact. Notre priorité est de soutenir la création d’emplois durables, vecteurs d’opportunités et de stabilité.

Nous sommes engagés aux côtés des pays de la région pour renforcer l’accès aux infrastructures essentielles. Par exemple, à travers le projet SCATEC Release, nous déployons des centrales solaires modulaires au Congo, au Cameroun et en République centrafricaine, élargissant ainsi l’accès à une énergie propre et fiable. Au Cameroun, le projet hydroélectrique de Nachtigal, que nous appuyons à hauteur de 110 millions d’euros, constitue un jalon fort de la transition énergétique du pays.

Dans le secteur numérique, nous contribuons à l’élargissement de la connectivité grâce à des investissements comme le financement de 10 millions de dollars à Airtel Congo. Par ailleurs, nous soutenons des projets structurants dans l’agro-industrie, le tourisme (Hilltop/BUNS), la transformation industrielle (FAC, CATRAMP), ainsi que l’accompagnement des champions locaux à travers un appui financier et stratégique.

Conscients des défis liés à la fragilité, nous mobilisons des instruments innovants : garanties, financements concessionnels, assistance technique pour sécuriser et renforcer l’engagement des investisseurs privés. Nous travaillons en étroite collaboration avec les autorités nationales, les PME et les acteurs locaux pour créer un environnement propice à des investissements pérennes et inclusifs.

Agence Ecofin : Sur les dix dernières années, la SFI a beaucoup investi en Afrique. Quels résultats concrets voyez-vous dans la CEMAC ? Quels secteurs tirent leur épingle du jeu, et envisagez-vous de repenser votre approche pour mieux répondre aux besoins de diversification économique ?

Ethiopis Tafara : La dernière décennie a vu émerger des avancées concrètes, malgré les défis inhérents aux trajectoires de développement. Notre engagement a permis de soutenir la création de milliers d’emplois à travers l’amélioration de l’accès à l’électricité et la modernisation progressive des services financiers, facilitant ainsi l’accès au crédit pour les PME.

L’énergie, l’agriculture connectée, le numérique et la fintech comptent parmi les secteurs les plus dynamiques. Ces avancées reflètent la capacité des pays de la CEMAC à saisir les opportunités de diversification et d’innovation économique.

En Afrique, où le secteur privé génère déjà 90 % des emplois, la SFI développe de nouveaux instruments financiers pour attirer les investisseurs institutionnels et renforcer les flux de financement Sud-Sud.

Pour renforcer cet élan, nous déployons une approche intégrée, en coordination avec le groupe Banque mondiale, en menant notamment des diagnostics sectoriels privés (CPSD) pour identifier les chaînes de valeur à fort potentiel. C’est ainsi que, par exemple, au Congo, nous collaborons étroitement avec les autorités pour accompagner la transformation de secteurs porteurs de croissance inclusive, à savoir l’agribusiness, les secteurs productifs et les infrastructures.

La nouvelle stratégie 2030 de la SFI mise sur la mobilisation de capitaux privés à grande échelle pour stimuler la création d’emplois de qualité, en mettant l’accent sur des secteurs à fort impact tels que l’agro-industrie, l’énergie, la santé, les infrastructures, l’industrialisation et le tourisme.

En Afrique, où le secteur privé génère déjà 90 % des emplois, la SFI développe de nouveaux instruments financiers pour attirer les investisseurs institutionnels et renforcer les flux de financement Sud-Sud. Nous priorisons désormais les investissements en capital, essentiels pour la croissance des entreprises et ayant un fort effet multiplicateur. Nous prenons des risques calculés pour maximiser l’impact de nos investissements et soutenir les PME, qui représentent 75 % des emplois dans les marchés émergents.

Tous ces efforts se font en étroite collaboration avec le reste du groupe Banque mondiale, et notamment nos collègues de la BIRD dont l’expertise permet aussi de faire avancer des réformes utiles à l’essor du secteur privé.

Agence Ecofin : La CEMAC possède des ressources clés pour la transition énergétique. Comment la SFI concilie-t-elle croissance économique et durabilité environnementale ?

Ethiopis Tafara : La durabilité environnementale est indissociable de la croissance économique que nous promouvons. Chaque projet soutenu par la SFI respecte nos normes rigoureuses de performance environnementale et sociale, garantissant la préservation de la biodiversité, l’intégration des communautés locales et la gestion responsable des impacts.

Le groupe Banque mondiale veut adopter une approche pragmatique et inclusive – et on le voit avec des initiatives telles que Mission 300, lancée en partenariat avec la BAD, qui vise à connecter 300 millions d’Africains à l’électricité, et à laquelle la SFI apporte sa contribution sous l’angle « secteur privé ».

Nos investissements en hydroélectricité et en solaire dans la région témoignent de notre engagement pour une transition énergétique qui allie développement économique et résilience climatique, en appui aux stratégies nationales.

Agence Ecofin : Créer des emplois durables dans la CEMAC, surtout dans des zones fragiles, c’est un défi. Comment la SFI s’y prend-elle pour que ses financements profitent vraiment aux populations locales ?

Ethiopis Tafara : L’emploi est le meilleur levier de stabilité et de prospérité. Nous soutenons les PME locales avec des financements adaptés, des garanties de risque en faveur du secteur bancaire et des programmes de développement des compétences. Nos contrats favorisent l’inclusion économique locale, en priorisant l’emploi de main-d’œuvre locale et la sous-traitance avec des entreprises nationales. Notre Initiative des Champions Locaux (LCI) aide les entrepreneurs à monter en compétences, à se conformer aux standards internationaux et à s’insérer dans les chaînes d’approvisionnement. L’impact est direct : des entreprises locales plus solides, plus compétitives, et une croissance portée par les talents de la région.

En 2024, les financements sur fonds propres de la SFI en Afrique reflètent des priorités claires. Près de 50 % ont été consacrés à l’inclusion économique des femmes, 41 % à la lutte contre le changement climatique, et 21 % aux pays à faible revenu ou en situation de fragilité.

L’Initiative des Champions Locaux s’inscrit dans notre engagement à faire émerger des entreprises nationales à fort potentiel. Lancée en 2022 dans le cadre de l’Africa Fragility Initiative, elle vise à identifier, structurer et accompagner des PME prometteuses. Déployée avec succès en Guinée, au Togo, au Burkina Faso, au Niger, au Tchad et au Liberia, la République du Congo sera le premier pays de la région CEMAC à en bénéficier très prochainement. Dans la même dynamique, le Cameroun, la RCA et le Gabon seront les prochains récipiendaires de ce programme dédié au secteur privé local.

Agence Ecofin : L’entrepreneuriat féminin est crucial mais souvent négligé. Quelles sont les actions concrètes menées par la SFI dans la CEMAC pour soutenir les femmes ?

Ethiopis Tafara : L’autonomisation économique des femmes est une priorité transversale. En partenariat avec les banques locales et notamment dans les secteurs productifs, nous développons des produits financiers dédiés aux femmes entrepreneures, tout en soutenant des programmes de mentorat et de formation sur mesure. En 2024, les financements sur fonds propres de la SFI en Afrique reflètent des priorités claires. Près de 50 % ont été consacrés à l’inclusion économique des femmes, 41 % à la lutte contre le changement climatique, et 21 % aux pays à faible revenu ou en situation de fragilité.

À travers le programme She WINS Africa, nous soutenons 400 start-ups dirigées par des femmes avec des formations, du mentorat et un meilleur accès au financement. Le programme inclut aussi une formation à l’investissement pour intégrer une approche genre chez les investisseurs. Les résultats sont concrets : des centaines de femmes ont structuré leurs projets, accédé à des financements et créé des emplois.

À titre d’exemple, la SFI a accordé un financement de 200 millions de dollars à Airtel Africa, composé de monnaie locale et de dollars américains, pour accroître l’accès à un internet haut débit abordable pour plus de 37 millions d’abonnés dans six pays.

Au Cameroun, nous accompagnons des coopératives agricoles féminines, preuve que l’inclusion économique des femmes est un levier de croissance.

À travers notre partenariat avec Goldman Sachs, nous avons co-lancé la facilité de financement du programme 10,000 Women, qui a permis à des milliers de femmes d’accéder à des formations en gestion et à des financements adaptés. Le programme est désormais disponible en ligne, y compris en français, via Coursera, pour toucher un public encore plus large.

Ces initiatives s’inscrivent dans notre volonté de réduire les inégalités d’accès au capital et à la formation pour les femmes entrepreneures, en particulier dans les marchés émergents.

Agence Ecofin : Le numérique et l’innovation sont des leviers de transformation. Quelle est la stratégie de la SFI pour stimuler un écosystème digital solide dans la région ?

Ethiopis Tafara : Le numérique est aujourd’hui un formidable accélérateur d’opportunités économiques et sociales. Nous investissons dans les infrastructures critiques pour améliorer l’accès à la connectivité, condition essentielle à l’essor de l’économie numérique.

Depuis 2018, les investissements de la SFI dans les infrastructures numériques en Afrique ont favorisé la croissance dans les domaines de la fibre optique, des tours, des câbles sous-marins et des centres de données, ce qui se traduit par une capacité accrue pour le trafic Internet et une connectivité plus rapide entre les régions.

À titre d’exemple, la SFI a accordé un financement de 200 millions de dollars à Airtel Africa, composé de monnaie locale et de dollars américains, pour accroître l’accès à un internet haut débit abordable pour plus de 37 millions d’abonnés dans six pays : République démocratique du Congo, Kenya, Madagascar, Niger, République du Congo et Zambie. Cette initiative contribue à réduire la fracture numérique en Afrique de l’Est et en Afrique centrale.

Au-delà des infrastructures, nous accompagnons activement les startups, les fintechs et les acteurs technologiques locaux à travers des fonds dédiés, des accélérateurs et des partenariats stratégiques. L’objectif est de bâtir un écosystème digital robuste, inclusif et durable, qui permette de développer des solutions innovantes adaptées aux besoins spécifiques des populations africaines et de favoriser l’émergence de talents locaux.

Interview réalisée par Aboudi Ottou et Idriss Linge

 





Source link

View Kamer

FREE
VIEW