Dans un contexte marquĂ© par la recrudescence des tensions ethniques sur les rĂ©seaux sociaux et dans le dĂ©bat public, le Cameroun se retrouve Ă la croisĂ©e des chemins. Pays aux 250 ethnies cohabitant depuis des dĂ©cennies, cette mosaĂŻque culturelle qui faisait jadis la fiertĂ© de la nation est aujourdâhui menacĂ©e par des discours divisifs qui appellent Ă une rĂ©ponse urgente et concertĂ©e des autoritĂ©s, de la sociĂ©tĂ© civile et des citoyens eux-mĂȘmes.
La dangereuse montĂ©e des discours identitaires dans lâespace numĂ©rique
Les rĂ©seaux sociaux, devenus une caisse de rĂ©sonance pour les tensions intercommunautaires, amplifient des antagonismes historiques entre diffĂ©rentes communautĂ©s camerounaises. Une Ă©tude rĂ©cente rĂ©vĂšle une augmentation de 67% des publications Ă caractĂšre ethnique haineux depuis 2020. Ce phĂ©nomĂšne touche particuliĂšrement les relations entre groupes ethniques majoritaires, transformant des espaces dâĂ©change en vĂ©ritables champs de bataille verbaux.
âCe que nous observons est dâautant plus prĂ©occupant que ces discours de haine ne restent plus confinĂ©s au monde virtuelâ, explique le sociologue Emmanuel Tchoupou. âIls infiltrent le quotidien des Camerounais et risquent de se traduire par des actes concrets, comme nous lâavons vu lors dâincidents rĂ©cents Ă Douala et YaoundĂ©.â Les appels Ă lâexpulsion de familles en raison de leur appartenance ethnique ou les menaces de reprĂ©sailles collectives constituent une dangereuse dĂ©rive qui rappelle les heures sombres dâautres nations africaines.
Les racines historiques dâun malaise national non rĂ©solu
Pour comprendre ces tensions, il faut remonter aux sources du malaise. Lâhistoire coloniale a laissĂ© des cicatrices profondes, instrumentalisant parfois les diffĂ©rences ethniques Ă des fins administratives. LâaprĂšs-indĂ©pendance nâa pas toujours permis de transcender ces divisions artificiellement renforcĂ©es.
Le professeur dâhistoire Alain Mballa note que âla non-rĂ©solution des traumatismes historiques, notamment concernant la pĂ©riode des luttes indĂ©pendantistes, continue dâalimenter une lecture ethnique des Ă©vĂ©nements politiques contemporainsâ. Cette lecture partisane de lâhistoire nationale, oĂč chaque communautĂ© cultive sa propre version des faits, constitue un terreau fertile pour les entrepreneurs de la haine.
Les inĂ©galitĂ©s Ă©conomiques et lâaccĂšs aux ressources exacerbent Ă©galement ces tensions. La perception dâune rĂ©partition inĂ©quitable des richesses nationales selon des lignes ethniques alimente un sentiment dâinjustice qui peut ĂȘtre facilement exploitĂ©.
Vers une stratégie nationale de réconciliation et de dialogue
Face Ă cette situation prĂ©occupante, des solutions existent et certaines initiatives porteuses dâespoir Ă©mergent dĂ©jĂ sur le terrain. Lâurgence dâune rĂ©ponse institutionnelle forte ne doit pas occulter la responsabilitĂ© de chaque citoyen dans la construction dâun vivre-ensemble apaisĂ©.
PremiĂšrement, un cadre juridique renforcĂ© contre les discours haineux sâimpose. Si des lois existent, leur application reste timide, crĂ©ant un sentiment dâimpunitĂ©. âLa justice doit ĂȘtre impartiale et traiter avec la mĂȘme rigueur tous les discours incitant Ă la haine, quelle que soit la communautĂ© visĂ©e ou lâorigine de son auteurâ, affirme MaĂźtre Josephine Ngo Minyem, avocate.
DeuxiĂšmement, lâĂ©ducation reprĂ©sente un levier essentiel. La rĂ©vision des programmes scolaires pour inclure une histoire nationale complĂšte et nuancĂ©e, reconnaissant les contributions positives de chaque communautĂ©, permettrait de dĂ©construire les prĂ©jugĂ©s dĂšs le plus jeune Ăąge.
Enfin, des plateformes de dialogue intercommunautaire, comme le Forum National pour la RĂ©conciliation initiĂ© rĂ©cemment Ă Bafoussam, doivent ĂȘtre multipliĂ©es et soutenues. âCes espaces neutres permettent aux diffĂ©rentes communautĂ©s dâexprimer leurs griefs tout en construisant une vision commune de la nation camerounaiseâ, explique Rose Messina, coordinatrice du projet.
Le chemin vers une cohabitation harmonieuse reste long et semĂ© dâembĂ»ches, mais lâalternative â une spirale de haine et potentiellement de violence â nâest pas une option pour un pays dĂ©jĂ confrontĂ© Ă de multiples dĂ©fis sĂ©curitaires. Câest dans lâunitĂ©, et non dans la division, que le Cameroun trouvera les ressources pour construire un avenir prospĂšre pour lâensemble de ses citoyens.