(Investir au Cameroun) – En deux ans, Richard Evina Obam a sorti de sa discrétion la Caisse des Dépôts et Consignations du Cameroun (CDEC). Longtemps cantonnée à l’inactivité dans les tiroirs de la République (2008 – 2023), l’institution se positionne désormais comme un levier de souveraineté économique. Le bilan reste toutefois contrasté : l’objectif de collecte maximale de 400 milliards FCFA apparaît difficile à atteindre dans un environnement marqué par les résistances bancaires et institutionnelles. Le directeur général a imposé une ligne de conduite fondée sur le droit et l’intérêt national face à ce qu’il qualifie d’« incivisme » des acteurs financiers.
Le symbole est assumé. Alors que la CDEC est engagée dans un bras de fer avec des banques sommées de transférer des fonds et avoirs légalement dévolus au consignataire public, son directeur général choisit l’ouverture extérieure. Le 3 novembre 2025, à Casablanca, Richard Evina Obam signe une convention de coopération avec la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) du Maroc, forte de 66 ans d’expérience. Avec son homologue Khalid Safir, il mise sur un partenariat structurant : transfert d’expertise, formation du personnel, modernisation des outils de gestion, partage de bonnes pratiques en gestion des dépôts et des risques, ingénierie financière, transformation digitale et gouvernance.
Au-delà de l’échange technique, la coopération vise à sécuriser et valoriser les dépôts publics tout en soutenant des projets structurants alignés sur la Stratégie nationale de développement 2020-2030 (SND30). Le message est explicitement politique : la CDEC veut « devenir un acteur clé du financement du développement national », précise-t-on.
Un juriste des rapports de force
Le parcours du dirigeant éclaire sa méthode. Fiscaliste de formation, passé par la Direction générale des impôts (cellule pétrolière et minière, puis Direction des grandes entreprises), conseiller technique au ministère des Finances, puis directeur général de la Caisse autonome d’amortissement (2017-2023), Richard Evina Obam arrive à la CDEC en janvier 2023 avec une culture d’« État comptable » : textes, procédures, leviers juridiques. À ceux qui dénoncent une approche approximative, il oppose la norme : « le service public de dépôts et consignations ne fait pas partie des matières transférées à la communauté… La CDEC demeure un instrument national régi par l’ordre juridique interne », écrit-il dans une tribune publiée en mai dans Défis actuels.
Cette posture dépasse le registre rhétorique. Elle irrigue son action face à ce qu’il décrit comme des pressions « latérales ». Lorsque la BEAC et la COBAC cherchent à encadrer la CDEC, il y voit le symptôme d’un rapport de force où « l’activisme du lobby bancaire » conduirait à une « capture du régulateur ».
Moderniser pour rassurer, collecter pour exister
Le bras de fer juridique s’accompagne d’un chantier de crédibilité technique. Face aux atermoiements du système bancaire, la CDEC adopte le système d’exploitation Amplitude de Sopra Banking Software, solution présentée comme utilisée par plus de 800 banques dans 70 pays. L’objectif est de sécuriser les opérations, d’arrimer la jeune institution aux standards du secteur et, surtout, de priver les établissements financiers d’un argument commode : l’incertitude opérationnelle.
Dans la foulée, la CDEC multiplie les conventions de transfert avec banques et assureurs. Banque Atlantique Cameroun, avec un accord-pilote signé le 2 novembre 2023, figure parmi les premières à formaliser un cadre de transfert. Allianz Assurances Cameroun ouvre le bal côté assurance-vie, avec plus de 1,5 milliard FCFA de contrats en déshérence transférés (Investir au Cameroun). SCB Cameroun suit avec un procès-verbal de transfert signé en juin 2024. Dans la mouture initiale, Société Générale est également citée parmi les acteurs engagés, aux côtés d’autres établissements.
Les chiffres, nerf d’une guerre de souveraineté
Les organes sociaux de la CDEC ont validé le plan stratégique 2023-2025 et structuré le fonctionnement du comité de surveillance. À la clé, une cible de 400 milliards FCFA de dépôts pour l’exercice 2025. À ce stade, la CDEC approche la barre des 100 milliards FCFA, seuil atteint grâce à une coopération parfois « aux forceps » des établissements financiers, des institutions de microfinance, des opérateurs de la commande publique et de l’État.
Le thermomètre officiel illustre la pente. Au 30 avril 2025, la CDEC déclare 83,5 milliards FCFA transférés, soit environ 21 % de l’objectif. Richard Evina Obam, qui s’attendait à « au moins la moitié des 400 milliards », impute ce retard à une « résistance globale » des acteurs et cite les entreprises de réseaux comme particulièrement « réfractaires » sur certaines cautions.
Pour donner l’exemple, une convention est conclue entre le ministère des Finances, la direction nationale de la BEAC et la CDEC pour transférer à la Caisse les dépôts de garantie liés aux marchés publics. Selon des informations d’Investir au Cameroun, la mécanique retenue prévoit un « débit d’office… de 2 milliards FCFA » par mois afin d’apurer une ardoise estimée entre 40 et 60 milliards FCFA.
Soucieuse de transparence sur l’emploi des fonds, la direction réalise par ailleurs un premier placement de 3 milliards FCFA sur le marché des titres publics (BTA) le 9 décembre 2024. L’opération est présentée comme une entrée « conforme » aux textes encadrant l’intervention de la CDEC sur les marchés. D’autres projets sont annoncés « dans le pipe », avec l’ambition affichée de contribuer à l’essor de plusieurs secteurs, conformément à la mission statutaire : recevoir, conserver, sécuriser et faire fructifier ces ressources, puis les réorienter vers des projets structurants d’intérêt général.
Sur ce point, le site de la CDEC insiste sur une philosophie d’outil public : « Une caisse de dépôts et consignations n’a même pas vocation à faire de bénéfices. Elle est là pour combler les défaillances du marché. »
La contradiction : stabilité financière contre souveraineté nationale
Si Richard Evina Obam se pose en rempart contre « l’incivisme » des récalcitrants, les régulateurs communautaires et certains observateurs mettent en avant un autre risque : la stabilité du système financier. Dans un courrier de la COBAC datant du 22 octobre 2025 et adressé au ministre des Finances, le gendarme bancaire évoque une démarche « consistant à perturber le système bancaire camerounais, en contribuant notamment à l’assèchement de sa liquidité ».
Les critiques ne viennent pas seulement des institutions. L’ingénieur financier Babissakana, figure centrale de la controverse, décrit un handicap structurel : « l’un des principaux handicaps de développement de la place financière du Cameroun est le niveau faible et inadéquat de l’ingénierie financière ». Dans un droit de réponse offensif, Richard Evina Obam réplique par un plaidoyer de légalité et par l’idée que la souveraineté – ici, la propriété et la traçabilité des fonds publics – constitue un préalable à toute modernisation.
Dans ce bras de fer institutionnel, le directeur général s’oppose à la volonté de la COBAC de superviser les activités de la CDEC et aux injonctions de la BEAC. Il dénonce un empiètement sur la souveraineté du Cameroun et un « traitement discriminatoire » envers l’État, rappelant le statut d’établissement public national de la CDEC. Sur un registre plus tactique, il plaide pour restreindre l’action du régulateur communautaire aux seules « opérations bancaires résiduelles » et demande le retrait du projet de texte communautaire.
Une ligne de crête
Richard Evina Obam s’est imposé comme une figure de proue, bousculant l’écosystème financier par un patriotisme revendiqué et une opposition ferme aux entités récalcitrantes. Son principal front reste le recouvrement des fonds en déshérence, longtemps détenus par les banques et autres acteurs. Sa maîtrise des mécanismes juridiques l’a conduit à engager des procédures de recouvrement forcé, au prix d’un climat de lobbying et de crispation.
Une donnée demeure : la CDEC, entrée en activité effective récemment, progresse dans une zone grise où souveraineté nationale, intégration monétaire et gestion prudentielle se frottent sans se confondre. Richard Evina Obam a choisi d’y avancer vite, parfois trop vite pour les prudences régulatrices, mais assez vite pour imposer l’existence de la Caisse. Son bilan, à ce stade, est celui d’un bâtisseur sous pression: une institution sortie de l’ombre, une collecte encore éloignée de la cible de 400 milliards FCFA, et une bataille dont l’issue dira si la rigueur était méthode… ou pari.
Baudouin Enama
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