En cette période historique pour l’Église catholique, 133 cardinaux se rassemblent au Vatican pour élire un nouveau pape. Parmi eux, trois prélats africains attirent particulièrement l’attention : Robert Sarah de Guinée, Peter Turkson du Ghana et Fridolin Ambongo du Congo. Ces figures emblématiques incarnent non seulement la voix grandissante de l’Afrique au sein de l’Église catholique mondiale, mais représentent également un tournant potentiel dans l’histoire du catholicisme.
Robert Sarah : Le défenseur intrépide de la tradition
Originaire d’Ourouss, un petit village guinéen, Robert Sarah s’est imposé comme l’une des voix les plus influentes et conservatrices du Vatican. Né en 1945 dans une famille de cultivateurs convertis de l’animisme au christianisme, ce cardinal guinéen a connu un parcours extraordinaire qui l’a conduit des régions rurales de Guinée aux plus hautes sphères de la Curie romaine.
Archevêque de Conakry à seulement 34 ans, il s’est distingué par son courage exceptionnel face aux régimes oppressifs qui se sont succédé en Guinée. Face au dictateur Sékou Touré, il a osé prononcer ces mots lourds de sens : « Le pouvoir use ceux qui n’ont pas la sagesse de le partager ». Cette audace lui a valu le respect bien au-delà des frontières de son pays.
Au Vatican, Robert Sarah a occupé plusieurs fonctions stratégiques, notamment comme préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements jusqu’en 2021. Connu pour ses positions traditionnelles sur la liturgie et les questions morales, il s’est imposé comme une figure de proue du conservatisme catholique.
Aujourd’hui âgé de 80 ans, ce cardinal se distingue par sa simplicité et son engagement profond pour la défense des valeurs traditionnelles africaines face à ce qu’il considère comme des dérives de la modernité occidentale. Sa voix résonne comme un rappel constant des racines profondes du christianisme en Afrique.
Peter Turkson : Le diplomate visionnaire
Né en 1948 à Nsuta-Wassaw au Ghana, Peter Kodwo Appiah Turkson représente un profil différent mais tout aussi remarquable. Polyglotte parlant couramment l’anglais, le français, l’italien, l’allemand et plusieurs langues africaines, ce cardinal ghanéen incarne l’ouverture de l’Église sur le monde.
Créé cardinal par Jean-Paul II en 2003, Turkson a été le premier Ghanéen à recevoir le chapeau cardinalice. Sa carrière au Vatican a été marquée par son rôle important dans les questions de justice sociale et de développement. Comme chancelier de l’Académie pontificale des sciences depuis 2022, il a travaillé à la croisée de la foi et des défis contemporains.
Le cardinal Turkson a participé activement aux conclaves de 2005 et 2013, qui ont abouti respectivement à l’élection de Benoît XVI et de François. Sa connaissance approfondie des enjeux globaux, notamment sur l’environnement et les questions économiques, fait de lui un interlocuteur respecté tant dans les milieux ecclésiastiques que séculiers.
À 76 ans, Turkson représente une vision de l’Église en dialogue avec les réalités contemporaines, tout en restant ancrée dans la tradition. Son influence s’étend bien au-delà du continent africain, faisant de lui une voix écoutée dans les débats sur l’avenir de l’Église catholique.
Fridolin Ambongo : La voix prophétique de justice
Benjamin de ce trio, Fridolin Ambongo Besungu, né en 1960 à Boto en République Démocratique du Congo, incarne une nouvelle génération de leaders catholiques africains. Archevêque de Kinshasa depuis 2018 et créé cardinal par le pape François en 2019, ce franciscain capucin s’est illustré par son engagement pour la justice sociale et la défense des plus vulnérables.
Président du Symposium des Conférences Épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM), Ambongo s’est imposé comme un porte-parole influent de l’Église africaine. Son courage face aux défis politiques en RDC lui a valu à la fois respect et controverses. En 2023, lors de la messe en mémoire de Chérubin Okende, député assassiné, il a prononcé des paroles fortes : « Aucune nation ne peut se construire sur des assassinats et des meurtres ».
Le cardinal Ambongo s’est également fait remarquer sur la scène internationale lors des débats sur la déclaration vaticane Fiducia Supplicans concernant la bénédiction des couples homosexuels. En tant que président du SCEAM, il a négocié directement avec le pape François une position adaptée au contexte africain.
À 65 ans, Ambongo représente une Église engagée dans les réalités sociales et politiques, n’hésitant pas à prendre position sur des questions controversées. Son style direct et son charisme en font une figure incontournable du catholicisme contemporain en Afrique.
Une Afrique en quête de reconnaissance
Ces trois cardinaux, malgré leurs différences de style et de sensibilité théologique, partagent une conviction commune : l’importance croissante de l’Afrique dans l’avenir de l’Église catholique. Alors que le continent européen voit ses églises se vider, l’Afrique connaît une croissance spectaculaire du catholicisme, avec plus de 250 millions de fidèles et un dynamisme pastoral remarquable.
L’élection d’un pape africain marquerait un tournant symbolique majeur, le premier pontife subsaharien en plus de 1500 ans d’histoire. Pour de nombreux observateurs, ce serait une reconnaissance de la vitalité du catholicisme africain et de sa contribution croissante à l’Église universelle.
Au-delà de leur origine commune, Sarah, Turkson et Ambongo représentent trois visions complémentaires de l’Église : traditionnelle et ancrée dans les valeurs fondamentales pour Sarah, ouverte au dialogue avec le monde contemporain pour Turkson, prophétique et engagée pour Ambongo. Ensemble, ils illustrent la richesse et la diversité du catholicisme africain.
Alors que commence ce conclave historique, une question demeure : l’Église est-elle prête à reconnaître pleinement l’importance de l’Afrique en élisant son premier pape subsaharien ? Quoi qu’il advienne, ces trois cardinaux ont déjà marqué de leur empreinte l’histoire du catholicisme mondial.