(Investir au Cameroun) – Dans un contexte économique régional marqué par des tensions de liquidité et des incertitudes politiques, l’agence de notation internationale Moody’s Ratings a confirmé, le 22 août 2025, la note souveraine du Cameroun à Caa1 pour les émetteurs à long terme en devises locales et étrangères, ainsi que pour la dette senior non garantie en devises étrangères. La perspective reste stable. Cette décision intervient moins d’un mois après que Moody’s a relevé l’évaluation de la soutenabilité budgétaire du pays.
La note demeure dans la catégorie spéculative, synonyme de risque élevé et de vulnérabilité à un défaut. Mais elle traduit aussi une reconnaissance des progrès réalisés par le gouvernement en matière de gestion des finances publiques. Pour comprendre ce maintien, il faut examiner les facteurs économiques, les données budgétaires, le contexte politique et les défis structurels du Cameroun.
Attribuée en juillet 2023 après une dégradation depuis B2, la note Caa1 sanctionnait alors les retards de paiement sur la dette extérieure et une gestion administrative défaillante. Ces incidents avaient exposé des faiblesses institutionnelles et accru le risque de défaut technique. Depuis, le Cameroun a engagé des réformes dans le cadre du programme FMI 2021-2025, avec des résultats visibles.
Moody’s justifie sa décision par une amélioration nette de la gestion de la dette et de la trésorerie. La dette publique devrait descendre sous les 40 % du PIB d’ici fin 2025, un niveau bien plus favorable que celui d’autres pays notés Caa. Ce recul réduit la pression sur les finances et limite l’exposition aux variations des taux mondiaux. Autre élément positif : une part croissante de la dette est désormais libellée en euros. Grâce à l’arrimage crédible du franc CFA, garanti par le Trésor français, le risque de change s’en trouve amoindri.
L’agence prévoit également une stabilisation de la charge de la dette sur le budget dans les deux prochaines années. Cette perspective repose sur une hausse des recettes non pétrolières (agriculture, services, industries extractives hors pétrole) et sur la réduction progressive des subventions aux carburants. L’accès à des prêts concessionnels de la Banque mondiale et du FMI, à faible coût, allège aussi la facture des intérêts. Résultat : des marges de manœuvre budgétaires accrues, souligne Moody’s.
Mais les fragilités demeurent. Le marché régional des titres publics de la CEMAC reste sous tension : taux d’intérêt en hausse, faibles souscriptions, maturités plus courtes. Autant de facteurs qui accroissent le risque de défaut lié à la liquidité, même si les pertes pour les investisseurs seraient limitées. De plus, des lenteurs dans les transferts de fonds entraînent encore des retards de remboursement, preuve de faiblesses administratives persistantes.
Les indicateurs économiques publiés par Moody’s pour 2024 servent de base aux projections :
- PIB par habitant (PPA): 5 548 USD, niveau faible mais accompagné d’une croissance réelle de 3,6 %, signe de résilience.
- Inflation: 5 %, modérée grâce à la politique monétaire de la BEAC.
- Déficit budgétaire: -1,3 % du PIB, reflet d’une discipline accrue.
- Balance courante: -3,2 % du PIB, exposant la dépendance au pétrole.
- Dette extérieure: 27,7 % du PIB, ratio relativement bas.
- Antécédent de défaut: au moins un depuis 1983, ce qui entretient la perception du risque.
Moody’s évalue la force économique du Cameroun à ba3, ajustée à la baisse à cause d’infrastructures insuffisantes et de marchés financiers peu efficaces. La gouvernance reste à caa1, malgré des progrès. La force fiscale est notée ba1, grâce à l’euro comme devise de référence, mais contrainte par les passifs potentiels des entreprises publiques.
Les considérations ESG pèsent aussi lourd. L’agence attribue au Cameroun un score très négatif (CIS-5). Les risques environnementaux (E-4) incluent sécheresses et inondations, qui frappent l’agriculture. Les risques sociaux (S-5) découlent des conflits dans les régions anglophones et l’Extrême-Nord. Quant à la gouvernance (G-4), elle reste affaiblie par la corruption et la centralisation du pouvoir.
Cette évaluation intervient à quelques semaines de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025. Le président Paul Biya est à nouveau candidat. Les divergences au sein du parti et de l’administration nourrissent l’incertitude politique, que Moody’s qualifie de risque « élevé ».
Pour l’exécutif, le défi est double : consolider les avancées économiques et rassurer sur la stabilité politique. Début août, le président Biya a autorisé le ministre des Finances, Louis-Paul Motaze, à lever 930 milliards de FCFA (1,57 milliard USD) auprès de prêteurs nationaux et étrangers. L’objectif : financer des projets prioritaires et apurer les arriérés de dette intérieure, estimés à 485,4 milliards de FCFA fin juin 2025. Dans le même temps, environ 487 milliards de FCFA ont été investis dans les infrastructures au premier semestre (routes, énergie, transports).
Mais la dette des entreprises publiques reste un danger. Leur santé financière fragile pourrait se transformer en passifs pour l’État. Le patronat, lui, réclame une fiscalité allégée, plus d’infrastructures et un endettement mieux maîtrisé.
Au final, Moody’s maintient une perspective stable, qui reflète un équilibre des risques. Une amélioration institutionnelle et un accès élargi aux financements pourraient mener à une révision à la hausse. À l’inverse, une crise de liquidité ou une transition politique chaotique entraîneraient une dégradation.
En clair : le Cameroun reçoit un signal à la fois prudent et encourageant. Les réformes portent leurs fruits, mais la stabilité politique reste décisive. À l’approche de l’élection, le pays est à un tournant. Une gestion réussie pourrait transformer les marges budgétaires en croissance inclusive. Dans le cas contraire, les vulnérabilités risquent de s’aggraver.
Idriss Linge