(Investir au Cameroun) – A Bonaberi, sur la nationale n°3, Joël Sikam dirige Fisco Industries, une entreprise ancrée dans le secteur manufacturier. Son quotidien est fait de gestion de la production et de transformation de matières premières locales, avec les contraintes que cela suppose. Son témoignage apporte ainsi la perspective de l’industriel qui vit directement les effets des politiques publiques. Dans cet entretien, il a analysé l’évolution du secteur industriel, les défis de la production locale, l’impact des mesures d’import-substitution et les perspectives d’industrialisation pour les années à venir.
Investir au Cameroun : Vous êtes passé par Morgan Stanley, un géant mondial de la finance, où vous auriez pu bâtir une carrière internationale. Pourtant, vous avez choisi de revenir au Cameroun, votre pays natal, pour créer votre propre entreprise, Fisco Industries. Depuis son lancement en 2015 avec seulement 4 employés, vous en êtes aujourd’hui à près d’une trentaine. Comment êtes-vous parvenu à réaliser une telle progression dans un environnement que beaucoup jugent peu favorable à l’entrepreneuriat ?
Joel Sikam : Mon passage chez Morgan Stanley m’a offert un véritable passeport pour le monde, à un moment où je me questionnais profondément sur mon rôle dans la transformation africaine. Entrer dans cette institution en plein cœur de la crise financière des subprimes en 2008 a été une grande école. J’y ai compris deux choses capitales à savoir l’impact colossal de l’économie sur la vie de la planète et l’interconnexion étroite entre les économies des pays.
Cette expérience m’a donné une perspective globale, mais aussi la conviction que je voulais être acteur, et non spectateur, du changement sur notre continent. Revenir au Cameroun n’a pas été un choix dicté par la nostalgie, mais par la certitude que ma valeur ajoutée serait plus forte ici qu’ailleurs.
« Revenir au Cameroun n’a pas été un choix dicté par la nostalgie, mais par la certitude que ma valeur ajoutée serait plus forte ici qu’ailleurs. »
J’observais déjà que de plus en plus d’Africains de la diaspora rentraient, et dans le même temps, des étrangers s’installaient sur le continent. Il se passait quelque chose. Je voulais aussi y être. En 2015, nous étions quatre. Aujourd’hui, nous sommes plus de trente. Ce n’est pas un miracle. C’est le fruit d’une vision claire, d’un enracinement dans le marché local, d’un travail acharné et d’une discipline implacable dans l’exécution. Là où beaucoup ne voyaient que contraintes et incertitudes, j’ai vu des opportunités et une marge de manœuvre immense à condition de rester constant, cohérent et déterminé.
Investir au Cameroun : En tant que jeune entrepreneur, quels ont été les principaux défis rencontrés lors de vos débuts au Cameroun, et plus spécifiquement, au cours des sept dernières années, quels obstacles vous ont particulièrement marqué ?
Joel Sikam : Le premier choc a été la brutalité de la réalité du terrain. Je suis toujours resté proche du Cameroun, même après l’avoir quitté adolescent, et je suivais l’actualité à distance. J’observais aussi le parcours entrepreneurial de certains proches, mais sans mesurer pleinement l’ampleur des défis auxquels ils faisaient face. Sur place, la réalité peut vite désillusionner. Infrastructures insuffisantes, logistique coûteuse, procédures administratives lentes, main-d’œuvre rare et parfois peu qualifiée… Quand on vient d’un environnement où tout est structuré et prévisible, le Cameroun vous apprend rapidement à composer avec l’imprévu et à embrasser la complexité.
« Quand on vient d’un environnement où tout est structuré et prévisible, le Cameroun vous apprend rapidement à composer avec l’imprévu et à embrasser la complexité. »
Il faut aussi apprivoiser la learning curve propre à notre écosystème entre autres le coût élevé de faire des affaires, le décalage entre certaines orientations économiques et les réalités du marché. Mais le véritable obstacle reste mental. Chaque matin, il faut accepter l’incertitude et les imprévus, tout en continuant de croire à son projet, même lorsque tout semble indiquer le contraire. Et il faut réussir à convaincre partenaires, clients et équipes que la bataille en vaut la peine.
Investir au Cameroun : Malgré ces difficultés, votre entreprise a enregistré une croissance significative. Au-delà de vos qualités entrepreneuriales personnelles, quels aspects positifs de l’environnement réglementaire ou des conditions générales des affaires au Cameroun ont soutenu cette croissance organique ?
Joel Sikam : Nous avons grandi parce que le marché camerounais évolue. La demande pour des produits industriels de qualité, fabriqués localement, est en forte hausse. Cette croissance organique s’appuie sur divers facteurs tels qu’une démographie dynamique, l’émergence de nouveaux modes de consommation portée par l’essor des supermarchés, et une tendance affirmée au « consommer local ». Certaines politiques publiques, bien que perfectibles, ont également contribué à ouvrir des espaces pour la production nationale et à encourager les initiatives locales.
Investir au Cameroun: Quelles attentes précises formulez-vous aujourd’hui à l’endroit des autorités camerounaises en matière de politiques publiques, économiques et de régulation, pour renforcer l’impact de vos actions et faciliter la multiplication d’initiatives entrepreneuriales comme la vôtre ?
Joel Sikam : La première attente que nous avons envers les autorités, c’est la clarté. L’industrie ne peut se développer dans l’incertitude. Nous avons besoin d’un cadre simple et stable, d’infrastructures qui fonctionnent, d’une énergie fiable et de financements adaptés au temps long de l’industrie. Il faut également une protection intelligente contre les importations déloyales, non pas pour se replier sur soi-même, mais pour donner à l’industrie locale l’oxygène nécessaire à son développement. Et cela ne peut se faire que lorsque le privé et le public réapprennent à dialoguer permanemment avec un cap qui est la transformation durable de notre pays.
Investir au Cameroun: Avec le recul sur ces sept années d’activité entrepreneuriale au Cameroun, quelles sont les grandes leçons que vous avez tirées, et quels conseils pratiques donneriez-vous à des jeunes entrepreneurs souhaitant lancer une activité industrielle ou manufacturière dans le contexte camerounais actuel ?
Joel Sikam : La patience est un capital. Dans l’industrie, rien ne se bâtit en un trimestre. La rigueur opérationnelle n’est pas une option. Même dans un environnement imparfait, il faut viser l’excellence. Et il faut être prêt à se réinventer sans cesse.
« Aux jeunes qui veulent se lancer, je dis commencez petit, mais avec des standards de géants. »
Aux jeunes qui veulent se lancer, je dis commencez petit, mais avec des standards de géants. Investissez autant dans vos hommes que dans vos machines et process. La première commande que vous livrez est déjà votre carte de visite pour les dix prochaines années. Exigence, soyez exigeants.
Investir au Cameroun: Quelle est votre vision à moyen terme pour Fisco Industries, notamment en termes d’expansion régionale ou continentale, et quelles opportunités entrevoyez-vous pour développer davantage votre modèle dans d’autres pays africains ?
Joel Sikam : Dans cinq ans, Fisco Industries sera plus qu’une entreprise, ce sera un acteur structurant du paysage industriel régional. Nous sommes en phase avec la mise en œuvre de la Zlecaf notamment depuis l’intégration de la CEEAC. Fisco Industries déploie le savoir-faire camerounais dans certains pays à forte consommation ou à forte démographie tels que la RDC, la Cote d’ivoire ou encore le Nigeria. La Zlecaf représente un marché unifié au potentiel de plus d’un milliard de consommateurs et FISCO est déjà prêt à accélérer son intégration dans cette dynamique régionale.