(Investir au Cameroun) – L’affaire de corruption reconnue par le trader anglo-suisse Glencore, et qui implique des officiels du secteur pétrolier en Afrique, dont au Cameroun, fait à nouveau parler d’elle. En effet, dans un message publié sur X (ancien Twitter) le 3 août 2024, l’avocat et homme politique camerounais Akere Muna, qui avait déjà révélé au grand public cette affaire de corruption à grande échelle, fait le point de la procédure devant la justice britannique et indique sa stratégie pour faire pression, afin que soient révélés les noms des officiels camerounais ayant bénéficié de post-de-vin du trader anglo-suisse.
« Glencore: les noms sur le point d’être révélés. Le procureur général du Royaume-Uni a autorisé le Serious Fraud Office (SFO) à engager des poursuites pénales pour corruption contre des individus. (…) Glencore avait mis en place deux comptoirs de paiement, l’un au Royaume-Uni (fermé en 2011), et un autre à Genève (fermé en 2016), ainsi que l’utilisation de jets privés pour transporter de l’argent du Nigeria au Cameroun. Les tribunaux anglais révèleront-ils les identités des Camerounais corrompus ? Nous le saurons en septembre. Quand les détails des opérations seront divulgués devant le tribunal de Londres, des indices sur l’identité des Camerounais impliqués vont surement émerger. J’encourage les Camerounais au Royaume-Uni à se joindre à moi pour organiser une marche pacifique, afin de présenter une pétition au procureur général du Royaume-Uni, lui demandant de rendre publics les noms de ces Camerounais corrompus », écrit Me Akere Muna.
Pour bien comprendre cette affaire, il faut remonter à fin 2022. En effet, le 3 novembre de cette année-là, la justice britannique condamne le trader anglo-suisse à une amende de 276 millions de livres sterling (162,73 milliards de FCFA), après que cette entreprise ait plaidé coupable pour des actes de corruption, en vue d’obtenir des contrats pétroliers dans cinq pays africains, dont le Cameroun. « La corruption faisait clairement partie de la culture d’un certain nombre de membres du personnel du bureau d’Afrique de l’Ouest. Les chefs d’accusation représentent une infraction sophistiquée, qui a eu lieu sur des périodes prolongées se mesurant en années », commente alors le juge Peter Fraser de la Southwark Crown Court de Londres.
7 milliards de pots-de-vin au Cameroun
En effet, comparant devant la justice britannique en mai 2022, Glencore a avoué avoir effectué environ 79,6 millions de dollars (environ 50 milliards de FCFA) de paiements à des sociétés intermédiaires, afin d’obtenir des avantages indus et conserver des contrats avec des entités publiques et contrôlées par l’État dans certains pays d’Afrique : Nigeria, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée équatoriale et Soudan du Sud. Selon la déclaration faite par un avocat de la multinationale anglo-suisse le 24 mai 2022, ce sont environ 7 milliards de FCFA de pots-de-vin qui auraient été versés à des responsables de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) et de la Société nationale de raffinage (Sonara), afin de favoriser les opérations de Glencore au Cameroun.
« Il est porté à la connaissance de l’opinion publique nationale et internationale que la SNH n’est ni de loin ni de près, associée à de telles pratiques, strictement interdites par son Règlement intérieur », avait réagi l’administrateur-directeur général (ADG) de la SNH par communiqué publié le 30 mai 2022. Adolphe Moudiki indiquait néanmoins que les autorités américaines et anglaises ont été saisies, en vue de fournir les éléments qui permettraient d’établir la véracité de ces « allégations » contre l’entreprise qu’il dirige depuis 1993. Après ces dénégations, et surtout après avoir sollicité et obtenu du chef de l’Etat, entre 2023 et 2024, l’ouverture d’une enquête sur l’éventuelle implication des cadres de la SNH dans ce scandale de corruption, l’ADG de cette société d’Etat est revenu à la charge le 2 août 2024.
Le satisfécit de la SNH
« L’administrateur-directeur général de la SNH, le ministre Adolphe Moudiki, porte à la connaissance de l’opinion nationale et internationale que les dirigeants et employés de la société Glencore, auteurs des actes de corruption commis au détriment de la SNH, ont été identifiés, et comparaitront devant le Tribunal de Westminster à Londres, le 10 septembre 2024. Cette information, qui vient d’être rendue publique, marque une avancée significative dans la recherche de la vérité dans cette scabreuse affaire. La SNH, qui a introduit une plainte devant le Tribunal criminel spécial (TCS) le 6 novembre 2023, pour identifier les complices camerounais de ces actes de corruption, est confiante que l’issue de la procédure à Londres permettra l’accélération des enquêtes au niveau du TCS », peut-on lire dans un communiqué publié le 2 août 2024.
Cette nouvelle sortie de l’ADG de la SNH n’a pas laissé indifférent Me Akere Muna, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Cameroun et vice-président de Transparency International, ONG internationale dédiée à la lutte contre la corruption. « J’ai lu le communiqué de presse de la SNH et le trouve plutôt absurde. Lorsque j’ai exposé le scandale de corruption de Glencore il y a plus de deux ans, la SNH a prétendu qu’il ne pouvait y avoir aucune corruption, car elle était interdite par leurs règlements intérieurs. Maintenant, quand le Serious Fraud Office du Royaume-Uni rend publics des noms des anciens employés de Glencore inculpés pour corruption, nous sommes informés par un communiqué qu’une plainte a été déposée en septembre 2023. (…) Ils se dépêchent maintenant de nous informer d’une plainte déposée l’année dernière, peut-être en raison de la révélation imminente des noms par les tribunaux anglais. Contre qui est la plainte et quelles sont les allégations ? », s’interroge Me Akere Muna.
Et l’avocat et homme politique, qui entre 2022 et 2023 a saisi sans succès la Commission nationale anti-corruption (Conac), les juridictions nationales, le Sénat et l’Assemblée nationale sur cette affaire, de poursuivre : « la SNH peut -elle expliquer pourquoi notre pétrole brut a été vendu avec une remise de 30 % en dessous du prix du marché ? De plus, pourquoi notre pétrole brut a-t-il été vendu à Vitol (un trader accusé de corruption en Amérique latine) avec une remise de 70% ? L’accord de plaidoyer avec le département de la justice des États-Unis exige que Glencore coopère pleinement avec les autorités d’enquête camerounaises. Par conséquent, la SNH devrait suspendre toutes les transactions avec Glencore, en raison de leur corruption avouée, et les contraindre à révéler leurs complices camerounais. Les coupables se trouvent au Cameroun, les transactions à l’origine de la corruption ont eu lieu au Cameroun, et pourtant ils s’attendent à ce que nous croyions que la solution viendra de Londres. Il est clair qu’une action doit être entreprise localement. Si les poissons ne peuvent se braiser, le peuple le fera. Nous prévaudrons, et la vérité prévaudra ».
Brice R. Mbodiam
Lire aussi :