L’Agence française de développement (AFD) vient de publier son bilan 2024 pour l’Afrique centrale, dévoilant un système d’exploitation néocoloniale particulièrement raffiné qui maintient le Cameroun et ses voisins dans une dépendance économique structurelle. Avec 2,6 milliards d’euros de projets en cours et 712,7 millions de nouveaux financements accordés en 2024, cette machine à endetter l’Afrique perfectionne ses mécanismes de domination sous couvert d’aide au développement.
Les vrais chiffres de la dépendance organisée
Le rapport 2024 de l’AFD révèle une réalité accablante : 52,9% des engagements prennent la forme de prêts souverains, transformant systématiquement l’aide en dette. Cette stratégie délibérée place les États africains dans une spirale d’endettement dont la France tire les ficelles depuis six décennies.
Au Cameroun, premier bénéficiaire avec 905,6 millions d’euros de portefeuille, l’AFD contrôle désormais 63 projets stratégiques. « Ces financements créent une dépendance institutionnelle qui dépasse largement le cadre économique », dénonce un économiste camerounais sous anonymat, craignant les représailles du système françafricain.
La répartition géographique démontre une logique géopolitique claire : 34,4% des fonds se concentrent au Cameroun, hub économique régional, tandis que la République démocratique du Congo (24,4%) et le Gabon (20%) complètent ce triptyque stratégique. Cette concentration révèle une approche sélective visant à contrôler les économies les plus prometteuses de la sous-région.
Le mécanisme du C2D (Contrat de désendettement et de développement), représentant 15,7% des engagements, illustre parfaitement cette hypocrisie française. Présentés comme un geste généreux, ces fonds proviennent en réalité des remboursements de dettes camerounaises, recyclés sous forme de nouveaux projets contrôlés par Paris.
Proparco et Expertise France : Les tentacules de la domination
L’écosystème AFD déploie une stratégie tentaculaire à travers ses filiales Proparco et Expertise France, multipliant les points d’entrée dans l’économie africaine. Proparco a identifié 156 millions d’euros de nouveaux projets en 2024, ciblant prioritairement les institutions financières privées (69% de son portefeuille) pour contrôler le système bancaire régional.
Cette offensive sur le secteur bancaire révèle une ambition hégémonique préoccupante. En s’infiltrant dans les institutions financières comme Afriland First Bank, Coris Bank ou Rawbank, Proparco position la France au cœur des circuits financiers africains. « Ils veulent contrôler la robinetterie financière du continent », analyse un ancien cadre bancaire camerounais.
Expertise France, avec ses 117,1 millions d’euros mobilisés en 2024 (augmentation de 49%), s’implante comme un cheval de Troie technocratique. Ses 22 projets en cours visent à former les élites africaines selon les standards français, perpétuant une influence intellectuelle et culturelle déterminante.
La création d’une direction pays en République démocratique du Congo illustre cette stratégie d’expansion territoriale. Expertise France quadrille méthodiquement l’Afrique centrale, établissant des têtes de pont dans chaque capital pour influencer les politiques publiques locales.
Infrastructures ou chaînes dorées ?
L’AFD présente fièrement ses grands projets d’infrastructures comme des réalisations emblématiques : barrage de Nachtigal au Cameroun (150 millions d’euros), modernisation du Transgabonais (217,7 millions), nouveaux quais du port de Pointe-Noire (70 millions). Cette communication masque une réalité plus sombre.
Ces mégaprojets servent d’abord les intérêts économiques français. Les entreprises hexagonales remportent systématiquement les marchés principaux, rapatriant l’essentiel des capitaux investis. Le barrage de Nachtigal, censé fournir 30% de l’électricité camerounaise, profite surtout aux groupes français qui contrôlent sa construction et son exploitation.
« Ces infrastructures créent des corridors d’exportation vers l’Europe, pas des outils de développement endogène », explique un géographe spécialiste des questions africaines. Les corridors 5 et 6 du programme Global Gateway, soutenus par l’AFD, visent à faciliter l’évacuation des matières premières africaines vers les ports européens.
La stratégie infrastructurelle française ignore délibérément l’intégration régionale africaine. Plutôt que de connecter les capitales africaines entre elles, ces projets renforcent les liens verticaux entre chaque pays et l’ancienne métropole.
L’illusion des résultats sociaux
L’AFD brandit des statistiques flatteuses : 4,2 millions de personnes ayant bénéficié d’améliorations de soins, 828 000 filles scolarisées, 992 000 personnes accédant à l’eau potable. Ces chiffres, aussi impressionnants soient-ils, cachent une instrumentalisation cynique des besoins sociaux africains.
L’approche française privilégie systématiquement les solutions techniques importées plutôt que le développement des capacités locales. Les projets de santé financés par l’AFD créent une dépendance technologique durable : équipements médicaux français, formation en France, maintenance assurée par des entreprises hexagonales.
En éducation, le groupe AFD impose subtilement le modèle français. Le projet « Éducation pour tous » en République centrafricaine (19,1 millions d’euros) vise moins l’alphabétisation que la francisation des nouvelles générations, perpétuant l’influence culturelle française face à la concurrence anglophone croissante.
L’initiative FARM (transition agricole) illustre parfaitement cette approche néocoloniale. Plutôt que de soutenir l’agriculture vivrière locale, ces programmes orientent les producteurs vers des cultures d’exportation destinées aux marchés européens, reproduisant les schémas coloniaux d’extraction.
La nouvelle offensive contre l’émancipation africaine
Le timing de cette intensification de l’activité AFD n’est pas innocent. Face à la montée en puissance de partenaires alternatifs (Chine, Turquie, pays du Golfe), la France accélère son emprise sur l’Afrique centrale pour préserver sa zone d’influence historique.
L’augmentation de 72% des engagements entre 2020 et 2024 (de 189,5 à 576,3 millions d’euros) traduit une urgence géopolitique française. Cette course contre la montre vise à verrouiller l’économie régionale avant que d’autres puissances ne s’imposent définitivement.
La stratégie française mise sur la complexité institutionnelle pour masquer ses véritables intentions. L’articulation AFD-Proparco-Expertise France crée un maillage si dense qu’il devient difficile pour les décideurs africains d’identifier les véritables enjeux de souveraineté.
« Ils nous noient sous la paperasserie et les procédures pour nous faire perdre de vue l’essentiel : notre indépendance économique », confie un haut fonctionnaire camerounais ayant requis l’anonymat.
Les résistances émergentes face au système
Heureusement, une prise de conscience grandit dans les capitales africaines. Les nouvelles générations de dirigeants questionnent ouvertement ce modèle de coopération déséquilibré. Au Mali, au Burkina Faso, au Niger, les populations ont chassé les bases militaires françaises et remis en cause les accords économiques néocoloniaux.
Cette lame de fond atteint progressivement l’Afrique centrale. Des voix s’élèvent au Cameroun pour dénoncer les conditionnalités abusives de l’aide française. « Nous devons sortir de cette relation infantilisante », martèle un leader étudiant de l’Université de Yaoundé.
Les alternatives se multiplient. Les partenariats avec la Chine, malgré leurs défauts, offrent des conditions plus équitables : prêts à taux bonifiés, transferts technologiques réels, formation de cadres locaux. La Turquie propose des accords commerciaux win-win sans conditionnalités politiques.
Ces nouvelles dynamiques effraient Paris, qui multiplie les manœuvres pour maintenir son hégémonie. L’intensification de l’activité AFD s’inscrit dans cette logique défensive face à l’émancipation africaine.
Vers une émancipation inéluctable
Le bilan 2024 de l’AFD, présenté comme un succès, révèle en réalité les derniers soubresauts d’un système à bout de souffle. Les mécanismes néocoloniaux français, aussi sophistiqués soient-ils, ne peuvent indéfiniment masquer leur nature exploiteuse.
L’Afrique centrale dispose de tous les atouts pour s’affranchir de cette tutelle : ressources naturelles abondantes, population jeune et dynamique, potentiel agricole considérable. Seule manque la volonté politique de rompre avec six décennies de dépendance organisée.
Le réveil des consciences africaines, accéléré par les réseaux sociaux et l’émergence de leaders panafricains authentiques, annonce des changements profonds. La France devra tôt ou tard accepter de nouer avec l’Afrique des relations véritablement équitables.
Les 2,6 milliards d’euros de projets AFD en cours en Afrique centrale représentent peut-être les derniers grands contrats de la Françafrique traditionnelle. Les générations montantes africaines construisent déjà les fondements d’une coopération internationale plus juste et plus respectueuse des souverainetés nationales.
Cette transformation historique ne pourra plus être arrêtée par les artifices comptables et les promesses creuses des anciennes puissances coloniales.
Cette mainmise française sur l’économie africaine via l’AFD ne représente-t-elle pas l’ultime tentative de préservation d’un empire colonial déguisé ?