(Investir au Cameroun) – L’Agence de régulation des télécommunications (ART) a finalisé le projet de convention de concession et le cahier des charges encadrant l’entrée de Starlink Cameroun Sarl sur le marché national. Filiale du fournisseur d’accès Internet par satellite de SpaceX, fondé par Elon Musk, l’entreprise est désormais en position d’obtenir une autorisation formelle pour fournir des services Internet par satellite aux utilisateurs finaux. Fin novembre, la ministre des Postes et Télécommunications, Minette Libom Li Likeng, a indiqué, lors de la présentation du budget 2026 à l’Assemblée nationale, que ces documents avaient été transmis « à la tutelle technique pour suite de la procédure d’octroi éventuel d’une convention de concession ». Cette étape marque une avancée importante dans un dossier considéré comme sensible par les pouvoirs publics.
Un dossier entre souveraineté numérique et contournements
Depuis 2024, l’examen du cas Starlink concentre des enjeux de sécurité des données, de souveraineté numérique et de concurrence. En avril de la même année, l’opérateur américain avait annoncé l’arrêt de ses services au Cameroun, faute d’autorisation officielle. Une partie des utilisateurs continuait pourtant d’accéder au service via une solution de contournement : achat de kits Starlink dans des pays où l’offre était déjà commercialisée, puis recours à l’itinérance. Théoriquement limitée à deux mois, cette option n’était pas strictement appliquée.
Le gouvernement a alors exigé le blocage de ces usages, en invoquant des risques pour la souveraineté numérique. « Il suffit d’avoir l’équipement Starlink, d’avoir un code, vous le branchez et vous êtes connecté, avec tous les risques que cela comporte », soulignait la ministre. Ce rappel à l’ordre a conduit Starlink à suspendre l’accès pour les utilisateurs camerounais, dans l’attente d’une régularisation de sa présence.
Un marché des communications électroniques en forte expansion
Le 27 juin 2025, Minette Libom Li Likeng a reçu à Yaoundé une délégation de Starlink, ouvrant un processus de normalisation. Ces discussions ont permis à l’entreprise de déposer un dossier complet en vue d’un agrément conforme au cadre réglementaire national. Cette dynamique se déploie sur un marché en net essor. D’après l’Observatoire annuel 2024 du marché des communications électroniques de l’ART, le nombre d’abonnements Internet actifs a atteint 15 098 822 en 2024, en hausse de 19,15 % par rapport à 2023.
Cette progression intègre 2 427 073 nouveaux abonnements mobiles, un segment qui représente plus de 99 % du parc. Le trafic global de données, fixe et mobile, a augmenté de 25,87 % pour s’établir à 779 861 615 Go. La consommation mobile pèse près de 88 % du volume total, avec 687 440 411 Go sur les réseaux mobiles, hors Viettel, contre 92 421 204 Go sur le réseau fixe. Sur ce dernier segment, Camtel enregistre plus de 3 180 nouveaux abonnements, illustrant une montée en puissance progressive des solutions filaires et du « Last Mile », malgré une exposition persistante aux interruptions.
Sur le plan des revenus, le marché présente un contraste marqué. Certains fournisseurs d’accès font état d’une baisse de 23,90 % de leurs revenus déclarés, passés de 6,68 milliards FCFA en 2023 à 5,08 milliards FCFA en 2024, en raison notamment de l’indisponibilité de données pour certains acteurs. Dans le même temps, le revenu total issu des services data et Internet, hors Camtel, progresse de 18,63 %, de 270,79 milliards FCFA à 321,25 milliards FCFA. Cette croissance est tirée par le segment mobile, largement dominé par MTN Cameroon et Orange Cameroun, qui concentrent plus de 98 % des revenus data.
Starlink, alternative aux réseaux terrestres de Camtel
Dans ce contexte, la proposition de valeur de Starlink repose sur une installation simple, autonome et sur des débits élevés, qui en font une alternative crédible aux réseaux terrestres de Camtel. La modernisation de ces derniers exige des investissements lourds et des déploiements complexes, en particulier hors des grands centres urbains. L’expérience kenyane rappelle toutefois les limites de la technologie satellitaire : un afflux massif d’utilisateurs peut saturer les capacités des satellites, dégrader la qualité de service et conduire à la suspension des nouvelles activations. Les autorités camerounaises devront donc intégrer, dans la convention de concession, des obligations strictes de capacité et de qualité de service pour éviter ce scénario.
Souveraineté, concurrence et obligations de service
Selon le Digital Report 2025, le taux de pénétration d’Internet au Cameroun s’élève à 41,9 %, avec 12,4 millions d’utilisateurs début 2025, tandis que le parc filaire de Camtel a reculé de 12,46 % en 2024. Ce retrait ouvre un espace concurrentiel pour les solutions satellitaires, notamment dans les zones où les infrastructures terrestres restent limitées. En 2024, Starlink affirmait travailler « le plus rapidement possible » pour obtenir les autorisations nécessaires dans tous les pays, y compris le Cameroun.
L’ART et la tutelle technique devraient cependant exiger des engagements forts en matière de protection des données, de concurrence loyale, d’obligations de service universel et de respect de la souveraineté numérique. En cas de feu vert officiel, l’entrée de Starlink pourrait reconfigurer le paysage numérique national, en élargissant l’accès à un Internet haut débit plus stable et plus performant, y compris dans les zones les plus enclavées.
Patricia Ngo Ngouem
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