La saisie du yacht Ebony Shine, d’une valeur estimée à 100 millions de dollars, a failli déclencher une véritable tempête diplomatique entre le Cameroun et la Guinée équatoriale. En débarquant à Yaoundé les 18 et 19 novembre, le vice-président Teodoro Nguema Obiang Mangue, alias Teodorín, n’est pas venu pour un simple salut fraternel : il est venu éteindre un feu déjà bien allumé. « Ce n’était pas du jeu, on frôlait la rupture », souffle une source diplomatique à Etoudi. Comment cette affaire vieille de vingt ans a-t-elle ressurgi ainsi ? Et surtout, que cache réellement cette intervention de dernière minute ?
Une brouille diplomatique évitée de justesse
À Yaoundé, l’arrivée de Teodorín a surpris plus d’un responsable. Le fils du président équato-guinéen venait régler une tension née après la saisie, au Cameroun, de l’Ebony Shine, un navire appartenant au ministère équato-guinéen de la Défense.
Informées de l’opération, les autorités de Malabo avaient immédiatement menacé de fermer Tradex Guinée équatoriale, distributeur stratégique de carburant. Une escalade qui aurait eu des conséquences directes sur la coopération économique entre les deux pays voisins.
Selon une source proche du dossier, « Paul Biya lui-même n’avait pas été formellement informé de la saisie ». Une situation embarrassante qui a poussé Malabo à dépêcher son vice-président pour comprendre ce qui se tramait réellement à Douala.
Une affaire Fotso qui ressurgit 20 ans plus tard
Pour saisir la profondeur de ce feuilleton, il faut remonter à 2002. Cette année-là, Yves-Michel Fotso tente d’implanter une filiale bancaire, Commercial Bank Guinea Ecuatorial (CBGE), après avoir obtenu tous les agréments nécessaires. Puis, brusquement, Malabo se rétracte.
Le différend est porté devant la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA/Ohada), qui condamne en 2009 la Guinée équatoriale à payer 69,6 millions d’euros à la CBGE. Pour exécuter cette décision, Fotso mandate une consultante franco-italienne, Sylvana Combet, dont le rôle ambigu va plus tard déclencher plusieurs procédures judiciaires en France et en Italie.
C’est elle qui, en 2025, réactive un ancien mandat controversé et fait saisir l’Ebony Shine, sans que Yaoundé ne dispose d’un titre exécutoire valide. Une erreur monumentale qui a mis le Cameroun dans une position délicate.
Négociations secrètes, tensions et sortie de crise
Entre 2012 et 2013, plusieurs transactions opaques impliquant Combet, l’huissier Henri Mercieca et des émissaires équato-guinéens avaient déjà brouillé les pistes. Les 15 millions d’euros versés puis les 7,5 millions supplémentaires avaient été détournés ou mal redistribués. Les tribunaux français avaient fini par confisquer l’argent litigieux.
En novembre 2025, voyant que la nouvelle saisie allait trop loin, Yaoundé tente une dernière manœuvre juridique… qui échoue.
La venue de Teodorín devient alors inévitable. À l’issue de discussions confidentielles à Etoudi :
- le navire Ebony Shine est libéré,
- Tradex rouvre en Guinée équatoriale,
- et les deux États réaffirment leur coopération.
« On a évité un clash inutile entre voisins », glisse un diplomate camerounais. Une affaire rocambolesque qui démontre une fois de plus à quel point les dossiers anciens peuvent ressurgir au moindre faux pas.
Entre malentendus diplomatiques, vieux contentieux financiers et initiatives individuelles mal encadrées, cette affaire montre combien l’équilibre entre Yaoundé et Malabo demeure fragile. La médiation expresse de Teodorín aura permis d’éviter une rupture qui aurait coûté cher aux deux pays.



