(Investir au Cameroun) – La Société d’expansion et de modernisation de la riziculture de Yagoua (Semry) poursuit sa réflexion sur l’avenir de son activité industrielle. Du 12 au 13 novembre 2025, l’entreprise publique et le Conseil d’appui à la réalisation des contrats de partenariat (Carpa/CARPA) ont tenu des échanges consacrés à l’examen des options de mise en concession des usines de transformation de paddy de Yagoua et de Maga.
Selon les informations obtenues par Investir au Cameroun, il ne s’agit ni d’une ouverture de capital, ni d’une décision arrêtée d’externaliser les activités industrielles de la Semry. La démarche reste exploratoire : elle vise à évaluer l’opportunité de confier la gestion des deux usines à un opérateur privé, ou de maintenir leur exploitation en régie interne. « Au cours des échanges entre la SEMRY et le CARPA, les points relatifs au périmètre des missions à confier au partenaire privé dans le cadre d’une telle opération, ainsi que l’état de maturité du projet, ont été abordés », précise un communiqué du Carpa.
À l’issue des travaux, les deux institutions ont convenu de l’élaboration d’un plan d’actions détaillé pour éclairer la décision finale. Ce document technique doit préciser les différents scénarios, ainsi que les impacts économiques attendus. Selon une source proche du dossier, la Semry cherche avant tout à « identifier le modèle le plus efficace pour moderniser la transformation du paddy et améliorer la compétitivité du riz local ». Si l’option de la concession reste ouverte, aucune décision n’est attendue à court terme. Le projet, s’il était retenu, n’entrerait en phase de maturation qu’à partir de 2026, après validation des autorités compétentes.
Un déficit structurel
Cette réflexion intervient alors qu’une restructuration de la Semry est annoncée, avec l’objectif de renforcer la production rizicole nationale et de réduire la dépendance du Cameroun aux importations, qui représentent encore plusieurs centaines de milliards FCFA par an.
Un récent rapport d’audit de la Chambre des comptes de la Cour suprême, couvrant la période 2018-2021, souligne la situation financière critique de l’entreprise publique. La Semry, pourtant à but lucratif, demeure structurellement déficitaire et ne parvient pas à couvrir les coûts réels de ses prestations agricoles. « Une entreprise qui ne parvient pas à fournir à ses clients des services dont le coût de revient est supérieur au prix de vente est nécessairement condamnée à disparaître », avertissent les magistrats financiers.
En 2021, la Semry a engagé 2,8 Md FCFA pour diverses prestations agricoles sur 10 348 hectares d’exploitation répartis entre Yagoua et Maga, dans l’Extrême-Nord. Ces services couvrent le travail mécanisé, l’irrigation, l’entretien des infrastructures hydrauliques et des pistes, ainsi que la production de semences. Le coût moyen atteint ainsi 276 547 FCFA par hectare.
En face, la redevance rizicole facturée aux producteurs est plafonnée à 102 000 FCFA par hectare. Même en intégrant la subvention de l’État, de 40 588 FCFA/ha, la perte nette reste de 133 959 FCFA/ha, soit un déficit global d’environ 1,3 Md FCFA pour 10 000 hectares. Le rapport révèle également que la Semry vend son riz de manière chroniquement déficitaire : le kilo de riz blanchi coûte 743 FCFA à produire, mais il est commercialisé à 376 FCFA. En incluant la subvention publique de 131 FCFA/kg, chaque kilo vendu génère encore une perte de 236 FCFA.
Pour éviter la faillite, la Chambre des comptes recommande une restructuration profonde des activités de la Semry, en préconisant notamment l’abandon de certaines prestations jugées trop coûteuses, comme le labour et la gestion directe des parcelles.
Concession privée ou maintien en régie : des arbitrages lourds
In fine, une concession à un opérateur privé permettrait d’attirer un acteur disposant de capacités financières, d’une expertise industrielle éprouvée et d’un savoir-faire dans la modernisation des chaînes de transformation. Un tel schéma offrirait également une meilleure visibilité budgétaire à la Semry, qui pourrait se recentrer sur ses missions agricoles et d’aménagement hydro-agricole.
Mais le transfert exigerait une définition précise et contractuelle des obligations du concessionnaire : volumes à transformer, prix d’achat aux producteurs, maintenance des équipements, renouvellement du parc industriel. La sécurité d’approvisionnement en riz local et la soutenabilité des prix pour les producteurs et le marché intérieur seraient au cœur des négociations.
À l’inverse, la poursuite en régie, c’est-à-dire l’internalisation de ce segment industriel, permettrait de préserver un contrôle total sur la chaîne de valeur et de garantir une intégration étroite entre production, irrigation et transformation. Cette option suppose toutefois des investissements lourds dans les usines, que l’entreprise, structurellement déficitaire et dépendante de subventions étatiques irrégulières, n’est pas en mesure d’assumer seule.
Amina Malloum
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