Dépôts et consignations : Afriland First Bank sommée de transférer 166 milliards de FCFA à la CDEC


(Investir au Cameroun) – Les relations sont tendues entre la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (CDEC) et Afriland First Bank, première banque du pays. En cause, plus de 166 milliards de FCFA que la CDEC réclame à l’établissement bancaire au titre de dépôts publics, consignations et séquestres judiciaires.

Le différend a été relancé le 16 octobre 2025, lorsque le directeur général de la CDEC, Richard Evina Obam, a servi une mise en demeure à Afriland First Bank. Dans cette correspondance, il accuse la banque d’avoir omis de reverser plusieurs dizaines de milliards de FCFA correspondant à des dépôts à terme et garanties de marchés publics. « La déclaration faite par votre institution ne reflète pas de manière exacte et complète l’ensemble des fonds et valeurs légalement dévolus à la CDEC et enregistrés dans vos livres », écrit Richard Evina Obam dans une lettre au ton mesuré, mais ferme.

D’après les contrôles internes de la CDEC, menés à partir des états financiers et du système de suivi CERBER 2024, les montants déclarés par la banque sont inferieurs à la valeur réelle. L’écart identifié atteindrait 36,5 milliards de FCFA, auxquels s’ajoutent 4,17 milliards de pénalités, calculées selon le taux de la facilité de prêt marginal de la BEAC, portant ainsi le montant total réclamé à 40 milliards de FCFA.

126 milliards pour l’affaire Bestinver

Dans sa mise en demeure, la CDEC a fixé à mi-novembre 2025 la date limite de règlement. Passé ce délai, elle entend engager une procédure de recouvrement forcé.

De son côté, une source interne à Afriland First Bank évoque une « divergence d’interprétation comptable » et assure que la banque « travaille à clarifier les montants concernés ». Elle soutient par ailleurs que « toutes les obligations réglementaires ont été respectées conformément aux instructions de la COBAC », l’autorité de supervision bancaire en Afrique centrale.

Outre les 40 milliards de FCFA réclamés au titre de dépôts publics non reversés, la CDEC exige désormais la restitution de 126 milliards de FCFA placés sous séquestre dans les comptes d’Afriland, dans le cadre du litige dit “Bestinver”, qui oppose l’homme d’affaires Baba Danpullo à l’opérateur sud-africain MTN Cameroun.

Dans une deuxième correspondance datée du 16 octobre 2025, adressée cette fois au président de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC), Richard Evina Obam affirme que ces fonds relèvent de son monopole légal de la CDEC, consacré par la loi camerounaise n°2008/003 du 14 avril 2008, relative aux dépôts, consignations et séquestres judiciaires. Selon lui, le placement de ces sommes dans une banque commerciale viole la législation nationale et prive la Caisse de sa compétence exclusive sur ce type de ressources.

La COBAC adopte une position opposée. L’institution communautaire considère que ces sommes, déposées dans une banque commerciale, constituent des dépôts de clientèle soumis à sa supervision. Un responsable de la Commission, joint sous anonymat, souligne que « la CDEC ne peut s’affranchir du cadre communautaire » et rappelle qu’« aucun État membre ne peut décider unilatéralement de la gestion de ses fonds publics en dehors du périmètre prudentiel ».

La CDEC rejette cette interprétation. Dans sa lettre, Richard Evina Obam affirme que la question de l’insaisissabilité des fonds relève « exclusivement de la compétence du juge national » et que le séquestre demeure valide tant qu’aucune mainlevée judiciaire n’a été prononcée.

Bataille juridique et institutionnelle

Pour appuyer sa position, la CDEC rappelle que son monopole a été reconnu par le gouverneur de la BEAC dans une correspondance du 8 septembre 2023 adressée au ministre camerounais des Finances. Ce dernier y soulignait que « les dépôts, consignations et séquestres judiciaires ne peuvent être ordonnés qu’au profit de la CDEC ». Un argument de poids qui place la COBAC dans une posture délicate, puisqu’elle dépend institutionnellement du même gouverneur.

Forte de ce soutien écrit, la CDEC a exigé d’Afriland une déclaration exhaustive des fonds publics encore détenus, accompagnée des justificatifs. Elle menace de lancer une procédure de recouvrement et de saisir certains actifs de la banque si les transferts ne sont pas effectués dans les délais. Selon nos informations, une mission d’audit conjointe est en préparation pour vérifier la conformité des comptes de l’établissement.

Régulation communautaire contre souveraineté nationale

Le bras de fer CDEC–Afriland dépasse la simple question de trésorerie. Il révèle une fracture institutionnelle entre la logique communautaire de la BEAC et les ambitions souveraines du Cameroun.

Pour la COBAC, bras prudentiel de la BEAC, l’unicité de la régulation bancaire dans la zone Cemac est un principe non négociable. Autoriser un établissement public à se placer en dehors du cadre commun créerait, selon elle, un risque systémique et un précédent juridique pour les autres États membres.

À l’inverse, Yaoundé défend la spécificité régalienne de la CDEC, qu’il considère comme un bras financier du Trésor public et non comme un acteur bancaire classique.

Un haut fonctionnaire du ministère des Finances confie que « le Cameroun entend gérer ses avoirs publics conformément à sa loi nationale, sans pour autant remettre en cause ses engagements communautaires ». En clair : la CDEC ne se voit pas comme une banque, mais comme une institution d’État relevant directement de la souveraineté nationale.

Au-delà des frontières camerounaises

Pour plusieurs observateurs, le dossier CDEC–Afriland est symptomatique des tensions récurrentes au sein de la Cemac. Depuis plusieurs années, des débats similaires et tractations opposent la BEAC à des États membres comme le Gabon ou le Congo sur la centralisation des fonds publics.

A l’analyse, ce conflit traduit le tiraillement entre intégration monétaire et souveraineté nationale. « Le Cameroun cherche à disposer d’une marge de manœuvre financière plus large, alors que la BEAC veut maintenir un contrôle unifié sur la liquidité régionale », commente un fonctionnaire.

Dans un contexte de resserrement monétaire et de pressions internationales sur la transparence financière, la bataille entre la CDEC, Afriland et la COBAC s’apparente à un test de gouvernance pour toute la zone.

Derrière les procédures administratives, c’est le rapport de force entre État et régulateur communautaire qui se redessine.

Baudouin Enama





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