(Investir au Cameroun) – Formé aux États-Unis, avocat d’affaires à Douala et fondateur de The Okwelians, un réseau qui rassemble plusieurs milliers de membres sur quatre continents, Jacques Jonathan Nyemb a également publié le Livre Vert consacré à la transformation du Cameroun. Ce parcours, qui combine expertise juridique, réseau international et engagement intellectuel, confère à ses analyses une portée particulière. Dans l’entretien, il a partagé sa vision de la transformation structurelle du pays, abordé les défis et perspectives de la période 2018-2025, discuté du rôle de l’État, du secteur privé et du secteur financier, et proposé des pistes pour accélérer le changement en insistant sur le rôle du leadership et de l’innovation sociale.
Investir au Cameroun : Diplômé d’universités américaines, vous avez fait le choix de revenir travailler au Cameroun. Comment votre expérience internationale influence-t-elle votre perception de l’évolution de l’économie camerounaise depuis votre retour ? Quelles sont les principales transformations que vous avez observées ?
Jacques Jonathan Nyemb : Mon parcours et mon expérience ont forgé une conviction : dans un monde en transitions (démographique, territoriale, numérique, énergétique ou encore écologique pour ne citer que celles-là), le Cameroun, cette Afrique en miniature située en plein cœur du bassin du Congo, doit pleinement prendre sa place dans le concert des Nations. Cela passe par quitter le statut de « potentialité » pour devenir enfin cette puissance agro-industrielle susceptible de contribuer à dessiner un nouveau modèle sociétal pour l’Afrique et le monde : celui d’une société participative, collaborative et solidaire.
« Cela passe par quitter le statut de « potentialité » pour devenir enfin cette puissance agro-industrielle susceptible de contribuer à dessiner un nouveau modèle sociétal pour l’Afrique et le monde : celui d’une société participative, collaborative et solidaire. »
Et pour ce faire, un modus operandi permanent doit nous habiter : l’agilité ; agilité pour penser global et agir local, agilité pour allier tradition et modernité, agilité pour combiner savoirs endogènes et bonnes pratiques internationales. Tel est le défi transformationnel qui attend notre pays et pour lequel nous devons nous mobiliser au quotidien.
Investir au Cameroun : Dans vos analyses, vous qualifiez la période 2018-2025 de « septennat de transformation malgré les défis ». Comment évaluez-vous globalement cette période ? Quels ont été, selon vous, les principales réussites et les défis non résolus de cette transformation économique ?
Jacques Jonathan Nyemb : Le septennat qui s’achève a permis à travers la Stratégie Nationale de Développement 2030 (SND30) de placer résolument l’initiative privée, l’industrialisation et la justice sociale au cœur de l’ambition transformationnelle de notre pays. En pratique, si le dynamisme entrepreneurial camerounais a créé les conditions d’une résilience économique considérable, les politiques et initiatives menées en faveur de la digitalisation des services fiscaux et douaniers, le renforcement de nos installations portuaires, la professionnalisation de certaines filières agricoles (notamment la filière cacao) ou encore l’ouverture de centres de formation professionnelle ont également permis des progrès appréciables.
Néanmoins, les crises exogènes subies, notamment la Crise Covid ou encore la guerre en Ukraine, cumulées à de nombreux défis endogènes non encore résolus à date, font que les progrès réalisés restent en deçà des objectifs fixés pour atteindre l’émergence à l’horizon 2035. En témoigne le taux de croissance qui campe autour de 4%, et reste donc bien loin de la moyenne annuelle attendue de 8%.
Il faut donc urgemment s’atteler à transformer notre appareil productif en redonnant toute sa place au secteur secondaire, permettant ainsi non seulement de lutter efficacement contre l’inflation, le sous-emploi et la paupérisation mais aussi par la même occasion de réduire notre déficit commercial voire notre endettement.
Investir au Cameroun : Dans votre Livre Vert, vous prônez la construction d’un « État stratège et facilitateur ». Concrètement, comment l’État camerounais doit-il évoluer pour mieux accompagner la transformation structurelle de l’économie ? Quelles réformes institutionnelles considérez-vous comme prioritaires ?
Jacques Jonathan Nyemb : Accepter la fin de l’Etat omniscient et omnipotent revient à redonner à ce dernier toute sa place d’Etat stratège et facilitateur ; càd celui d’un acteur qui par ses pouvoirs, ressources et moyens créé les conditions d’un environnement favorable à la création de valeur durable. Pour cela, nous sommes d’avis qu’il faudra inexorablement explorer plusieurs dynamiques en matière d’action publique : celle de la territorialisation, celle de la spécialisation et celle de la professionnalisation. La territorialisation dicte de donner véritablement aux CTDs (mais aussi aux chefferies traditionnelles et aux OSC) les leviers pour ancrer la transformation durable auprès des communautés. La spécialisation dicte de créer diverses agences susceptibles d’apporter plus d’innovation et de performance dans la réalisation de diverses missions de service public notamment en matière de collecte de données, de maturation des projets ou encore de digitalisation. La professionnalisation exige une réforme inévitable de la fonction publique centrale et locale mais aussi de la formation initiale et continue des fonctionnaires au Cameroun. Des nouvelles passerelles devront donc être ouvertes entre secteur public et secteur privé.
Investir au Cameroun : The Okwelians accompagne de jeunes entrepreneurs et vous observez de près l’écosystème entrepreneurial camerounais. Comment évaluez-vous l’évolution du secteur privé national ? Quels obstacles freinent encore l’épanouissement de l’entrepreneuriat local et comment les lever ?
Jacques Jonathan Nyemb : A travers notre dispositif The Okwelians Venture Fund, nous accompagnons stratégiquement et financièrement l’éclosion de start-ups susceptibles de devenir les champions nationaux de l’économie camerounaise. Bien plus, nous sommes convaincus qu’un secteur privé refondé et notamment un patronat plus inclusif, plus collaboratif et plus innovant participera à renforcer le tissu économique camerounais et à rendre nos entreprises plus compétitives.
« Nous sommes convaincus qu’un secteur privé refondé et notamment un patronat plus inclusif, plus collaboratif et plus innovant participera à renforcer le tissu économique camerounais et à rendre nos entreprises plus compétitives. »
Ainsi, face à une économie encore largement informelle (95%), il est impératif d’engager une refondation en profondeur de l’interprofession pour répondre aux défis de l’information, de l’accompagnement (incubation/accélération) ou encore de la formation pour les entreprises – qui sont d’ailleurs essentiellement des TPE et PME. Une telle refondation impactera positivement la structuration des filières, l’adéquation formation-emploi ou encore la mutualisation des moyens de production.
Investir au Cameroun : L’inclusion financière figure parmi vos préoccupations dans le Livre Vert. Quel rôle le secteur financier camerounais doit-il jouer pour soutenir la transformation économique ? Comment améliorer l’accès au financement pour les PME et les entrepreneurs ?
Jacques Jonathan Nyemb : La question du financement est un nœud central, aux côtés de celui de la gouvernance, qui freine la compétitivité de nos entreprises. Dès lors, il nous faut œuvrer davantage en faveur de l’inclusion financière en permettant, notamment via les fintechs, aux acteurs économiques, y compris du secteur informel, d’avoir accès à des services financiers tels que le micro-crédit ou la micro-assurance. Mais au-delà, permettre au secteur de la bancassurance de jouer pleinement son rôle de financer l’économie camerounaise supposera de réduire la surliquidité bancaire en zone CEMAC, ouvrir les marchés financiers aux PME, encourager le capital investissement ou encore permettre à l’Etat à travers divers instruments (garanties, etc.) d’accompagner les entreprises dans le financement de leurs activités.
Investir au Cameroun : Vous insistez sur la nécessité de « construire un partenariat de confiance entre l’État, le secteur privé et la société civile ». Comment ce partenariat peut-il concrètement accélérer la transformation durable ? Quelles sont vos recommandations pour renforcer l’attractivité économique du Cameroun ?
Jacques Jonathan Nyemb : Notre pays doit inexorablement attirer davantage d’investissements directs étrangers, notamment dans le cadre de partenariats public privé, pour accélérer la transformation structurelle de notre économie. Pour cela, nous plaidons en faveur de l’adoption d’une stratégie nationale d’attractivité ambitieuse. Une telle stratégie reposera sur deux piliers ; d’une part, la réduction du risque pays et d’autre part, la construction de la « marque Cameroun » (Invest in Cameroon). En effet, il est vital de réduire le risque pays à travers une amélioration significative de l’environnement des affaires au Cameroun, seul gage de sécurité accrue des investissements.
« En effet, il est vital de réduire le risque pays à travers une amélioration significative de l’environnement des affaires au Cameroun, seul gage de sécurité accrue des investissements. »
Cela suppose des réformes ambitieuses notamment en matière de foncier, digitalisation des services publics, fonctionnement de la justice, gouvernance économique et budgétaire ou encore maturation des projets d’infrastructures. Nous pourrions d’ailleurs accompagner l’API dans le sens de la mise en place d’un index d’attractivité du Cameroun, l’imposant ainsi progressivement comme une boussole de l’investissement privé au Cameroun. En outre, construire la marque Cameroun suppose d’investir sur le plan institutionnel, humain et opérationnel en faveur d’une véritable campagne de promotion de la destination Cameroun et du savoir faire camerounais à travers le monde. L’appareil d’Etat en matière de planification, de diplomatie et d’intelligence économique devra également être mobilisé à cet effet.
Investir au Cameroun : En tant qu’avocat d’affaires, vous observez les flux d’investissements et les partenariats internationaux. Comment évaluez-vous le rôle du secteur extérieur dans l’économie camerounaise ? Quelles stratégies recommandez-vous pour optimiser les bénéfices de l’intégration régionale et des partenariats internationaux ?
Jacques Jonathan Nyemb : En dépit d’une économie longtemps considérée comme une économie de rente, l’économie camerounaise a toutefois connu la prééminence d’acteurs nationaux notamment dans les secteurs primaire et tertiaire (commerce/import-export).
« En tout état de cause, l’ambition d’une industrialisation endogène doit s’appuyer sur primo une alliance économique stratégique entre le Cameroun et le Nigéria. »
Plus récemment, la diversification des partenaires extérieurs du Cameroun a permis l’entrée de nouveaux acteurs étrangers dans le pays. En tout état de cause, l’ambition d’une industrialisation endogène doit s’appuyer sur primo une alliance économique stratégique entre le Cameroun et le Nigéria, secundo une stratégie commerciale commune au niveau de la CEMAC/CEEAC pour aborder la Zone de Libre Echange Continentale Africaine et tertio de nouvelles dynamiques partenariales au niveau international ; et ce en vue notamment de la refonte du système de gouvernance économique mondiale.
Investir au Cameroun : Votre Livre Vert met l’accent sur la nécessité d’inscrire « la durabilité au cœur de la transformation structurelle ». Comment le Cameroun peut-il accélérer sa diversification économique tout en préservant la durabilité ? Quels secteurs considérez-vous comme les plus porteurs ?
Jacques Jonathan Nyemb : Notre Livre Vert porte le plaidoyer de mettre la Stratégie Nationale de Développement 2030 (SND 30) au service de l’humain, voire du Vivant. Et bâtir une économie du Vivant suppose de placer la durabilité au cœur de l’agenda transformationnel de notre pays. Cela suppose de placer les territoires, les acteurs locaux (coopératives, TPE et PMEs) et les savoirs endogènes au centre de notre démarche d’industrialisation. Une telle industrialisation durable aboutira à la production de biens et services « Made in Cameroon » à forte valeur ajoutée et surtout présentant un avantage compétitif dans l’économie mondiale. Diverses filières (manioc, fleurs, bois, etc.) pourraient être explorées et faire décoller nos industries agroalimentaires, pharmaceutiques ou encore cosmétiques.
« Diverses filières (manioc, fleurs, bois, etc.) pourraient être explorées et faire décoller nos industries agroalimentaires, pharmaceutiques ou encore cosmétiques ».
Le rôle de la Société Nationale d’Investissement sera décisif pour stimuler une telle productivité et accompagner l’initiative privée en la matière.
Investir au Cameroun : Vous identifiez le « déficit de confiance » comme un défi majeur. Comment restaurer la confiance entre les différents acteurs économiques ? Quelles mesures de gouvernance et de transparence préconisez-vous pour créer un environnement économique plus favorable ?
Jacques Jonathan Nyemb : L’ère participative actuelle dicte désormais une véritable co-construction de la décision publique ; faisant ainsi de la société civile, en ce compris le secteur privé, un co-acteur clé dans la priorisation, la formulation, la mise en œuvre et le suivi-évaluation des politiques publiques. Seule une telle démarche permettra de placer la redevabilité au cœur de l’action et ainsi recréer la confiance entre les acteurs publics et privés engagés dans la transformation durable du Cameroun. Pour ce faire, des propositions portées par notre Think Do Tank telles que l’opérationnalisation du Conseil économique et social, la mise en œuvre d’un cadre de dialogue multi-acteurs Etat-secteur privé-société civile ou encore la mise sur pied d’une plateforme nationale d’information publique œuvreront en ce sens et contribueront à réduire la méfiance voire la défiance réciproque entre acteurs privés et acteurs publics.
Investir au Cameroun : The Okwelians promeut « une culture d’innovation sociale ». Comment le Cameroun peut-il mieux valoriser son capital humain et ses savoirs endogènes ? Quel rôle la diaspora camerounaise peut-elle jouer dans cette transformation, à l’image de votre propre parcours ?
Jacques Jonathan Nyemb : Nous sommes convaincus que le capital humain national – qu’il soit local ou de la diaspora – doit être au cœur de la dynamique de transformation durable du Cameroun. S’agissant de la diaspora, nous plaidons notamment en faveur d’incitations administratives, fiscales et douanières susceptibles de faciliter l’investissement de la diaspora aux plans humain, matériel et financier au bénéfice du Cameroun.
Plus généralement, bâtir le capital humain de demain pour le Cameroun suppose une démarche inédite, un véritable pacte mobilisant acteurs publics et privés autour d’une ambition commune en matière de recherche, formation et emploi. Cette ambition devra permettre d’insuffler aux futurs actifs les valeurs citoyennes camerounaises, de les doter des soft skills nécessaires pour se distinguer comme entrepreneurs ou intrapreneurs (éthique, leadership, créativité) et enfin d’acquérir des hard skills correspondant à des besoins en lien avec des opportunités professionnelles actuelles ou futures. Et en la matière, la part belle doit de nouveau revenir à l’enseignement technique. La société de demain impose enfin de repenser le travail sous toutes ses formes – nouvelles et anciennes – mais surtout de replacer l’excellence, et in fine le mérite, au cœur de la société.
Investir au Cameroun : Vos analyses soulignent l’importance des « transitions écologique, numérique et énergétique ». Comment ces transitions peuvent-elles devenir des leviers de croissance pour l’économie camerounaise ? Quelles politiques publiques et quels investissements privés recommandez-vous dans ces domaines ?
Jacques Jonathan Nyemb : L’énergie, le numérique et l’écologie sont des leviers structurants pour bâtir une industrialisation durable. Le numérique facilite l’accès aux savoirs et décuple la productivité tandis que l’énergie alimente la production et l’écologie la pérennise. Ce faisant, nous sommes convaincus qu’amorcer les transitions écologique, énergétique et numérique sera pour le Cameroun un tournant marquant. Il faudra rapidement miser sur l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables ou la finance verte pour stimuler notre économie.
Investir au Cameroun : À l’horizon 2030-2035, quelle est votre vision pour l’économie camerounaise ? Quelles sont vos trois recommandations stratégiques prioritaires pour que le Cameroun devienne effectivement ce pays « fier, prospère et solidaire » que vous appelez de vos vœux ? Comment mesurer le succès de cette transformation ?
Jacques Jonathan Nyemb : Passer de la résilience à la prospérité partagée, tel est le défi auquel est confrontée notre économie et pour lequel nous avons rassemblé en mars dernier lors de notre premier Sommet économique international (The Okwelians Summit) plus de 300 participants venant d’une vingtaine de pays ; et ce afin d’imaginer les solutions idoines pour concrétiser ce changement de paradigme annoncé. Nous pensons que les trente-sept (37) recommandations stratégiques et opérationnelles contenues dans le Livre Vert peuvent contribuer à transformer l’essai et réaliser enfin le potentiel camerounais. Le pouvoir d’achat des ménages, le plein emploi des jeunes et le bien-être des populations seront nos indicateurs de satisfaction.
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