(Investir au Cameroun) – L’industrie camerounaise du cacao, quatrième au monde, traverse une crise combinant maladies, insécurité et retrait des entreprises. Cette situation met sous forte pression un secteur qui génère plus de 359 milliards FCFA (environ 595 millions USD) et soutient près d’un million de personnes. La production nationale, généralement comprise entre 250 000 et 290 000 tonnes, pourrait reculer d’au moins 10 % cette saison, le Sud-Ouest, fournisseur de près de la moitié de la récolte, étant la région la plus touchée.
Le premier choc est biologique. Depuis juillet 2025, les fortes pluies ont dépassé 2 200 mm dans le Sud-Ouest, favorisant la propagation du mildiou noir (Phytophthora megakarya). Dans les districts clés de Muyuka et Kumba, les taux d’infection atteignent 65 à 70 %. Pour tenter de contenir l’épidémie, les cultivateurs se tournent vers des pesticides souvent contrefaits, introduits clandestinement depuis le Nigeria. Résultat : certaines exploitations perdent entre 30 et 90 % de leurs cabosses, affectant à la fois la quantité et la qualité du cacao.
À cela s’ajoute l’insécurité. Le conflit anglophone a instauré des « villes mortes » dans le Sud-Ouest et le Nord-Ouest. Pendant ces journées, toute activité économique est suspendue, et les cultivateurs risquent des embuscades s’ils tentent de se rendre sur leurs plantations. Ces blocages réduisent historiquement les ventes de cacao du Sud-Ouest jusqu’à 40 %. En 2025, la situation se complique avec des combats sporadiques et des extorsions sur les routes rurales.
Le retrait des entreprises accentue la crise. Telcar Cocoa Ltd., qui traitait jusqu’à 40 % des fèves nationales, a suspendu ses opérations à la mi-septembre, invoquant une « crise de qualité des fèves ». Cette décision prive les cultivateurs et petits transformateurs d’un acheteur clé et envoie un signal d’incertitude aux investisseurs. Les effets se font sentir sur les prix et sur les marges des transformateurs, parfois comprimées jusqu’à 70 %. Beaucoup risquent la fermeture sans mesures de soutien.
Cette crise illustre un choc d’offre classique. Les cultivateurs ne peuvent pas rapidement remplacer les arbres malades ni augmenter les superficies cultivées. Avec moins de fèves disponibles, les prix augmentent. L’insécurité et les « villes mortes » font monter les coûts : retards de livraison, stockage risqué, hausse de la contrebande. Pour les petits transformateurs, l’approvisionnement peut coûter 20 à 30 % plus cher, perturbant la production et fragilisant les revenus ruraux.
Les marchés mondiaux ressentent déjà l’effet. Les contrats à terme sur ICE s’échangeaient à 7 364 USD la tonne le 17 septembre, vulnérables à des pics haussiers. Le déficit potentiel de 25 000 à 40 000 tonnes au Cameroun reste limité à l’échelle mondiale, mais dans un contexte de chocs climatiques et de volatilité politique, il accentue l’incertitude.
Les réponses politiques et commerciales restent insuffisantes. Les inspections gouvernementales sont entravées par l’insécurité. La distribution de fongicides est trop poreuse pour empêcher les contrefaçons. Les services de vulgarisation sont limités et aucun mécanisme d’assurance ou de partage des risques n’existe pour les transformateurs. Sans action rapide, la production 2025/26 pourrait chuter de 15 à 25 %, entraînant des prix locaux élevés (4 000–6 000 FCFA/kg) et un affaiblissement des activités de transformation.
Cette crise est un test de résilience pour l’économie camerounaise du cacao. Les cultivateurs ont besoin de corridors sécurisés et de chaînes d’approvisionnement fiables en fongicides. Les petits transformateurs nécessitent des mécanismes coopératifs et des outils de couverture pour gérer la volatilité. Pour les investisseurs, le message est double : opportunité à court terme, mais risque systémique à long terme. Sans solutions intégrées contre maladies et insécurité, l’avantage du Cameroun dans le cacao premium pourrait s’éroder de manière irréversible.
Mercy Fosoh
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