(Investir au Cameroun) – A sept semaines de la présidentielle du 12 octobre 2025, le Groupement des entreprises du Cameroun (Gecam) a publié un appel à un « sursaut économique », demandant aux candidats d’inscrire l’économie réelle, l’énergie, la fiscalité et l’état de droit au cœur de leurs programmes. Cette prise de position replace l’agenda de la croissance et de la compétitivité au centre du débat, dans l’ombre d’une Vision 2035 en retard d’exécution et d’une conjoncture ralentie depuis les crises de la Covid-19 et des tensions géopolitiques globales.
Priorités patronales face aux contraintes budgétaires
Dans son message, le patronat propose un cadre de partenariat public-privé « sincère, structuré et durable » et décline des priorités opérationnelles : réforme fiscale pro-compétitivité, accélération des infrastructures (énergie/transport), digitalisation des services publics, et sécurité juridique pour l’investissement. L’ambition est assumée : faire de l’entreprise un co-architecte de la politique économique, avec des indicateurs de résultats et un dialogue régulier avec l’exécutif.
Cette plateforme se heurte toutefois à une contrainte budgétaire objective. La pression fiscale a été mesurée à 13,3 % du PIB en 2024, niveau bas pour financer des infrastructures lourdes si, parallèlement, l’on allège les impôts sans élargir l’assiette ni améliorer le rendement. Les marges sont d’autant plus comptées qu’à fin juin 2025, l’encours de la dette publique du Cameroun s’est établi à 14 105 milliards de FCFA, soit 43,0 % du PIB. Une situation en baisse de 3,3 % par rapport au 31 mars 2025, mais qui reste en hausse de 1,8 % sur un an.
Le contexte macro n’offre pas non plus de respiration facile. La croissance réelle a ralenti à 3,3 % en 2023 avant de remonter vers 3,7 % en 2024, un rythme insuffisant pour converger vers les objectifs d’industrialisation sans gains rapides de productivité et de fiabilité énergétique. Le taux d’investissement total s’est inscrit autour de 21 % du PIB en 2024, signe d’un effort réel mais encore modeste au regard des besoins en équipements de production.
Le poids financier du privé illustre aussi la profondeur limitée des « réservoirs » domestiques. Le crédit au secteur privé tourne autour de 14–15 % du PIB sur la période récente, niveau faible comparé aux économies émergentes où l’intermédiation dépasse souvent 30–40 % : une réalité qui restreint la capacité des entreprises à investir vite et massivement, même si la demande existe.
La structure productive accroît cette tension entre ambitions et moyens. Les PME représentent 99,8 % des entreprises recensées, avec une prédominance de très petites unités à faible capitalisation et forte mortalité. En emploi, l’informel concentre la large majorité des postes selon l’EESI-3 de l’INS, ce qui réduit la base fiscale, fragilise la protection sociale et freine l’investissement productif formel.
Ambitions patronales VS faisabilité politique
Dans ce contexte, la cohérence du plaidoyer patronal suppose de préciser un « chemin financier ». Un allègement ciblé de la fiscalité de production peut être compatible avec plus d’infrastructures si, simultanément, l’État élargit l’assiette (lutte anti-évasion, intégration graduelle de l’informel), améliore l’efficacité de la dépense (désengorgement des arriérés, priorisation énergie-transport) et mobilise des PPP disciplinés par des contrats de performance et des garanties limitées. Ces leviers conditionnent la soutenabilité budgétaire du pari pro-investissement, mais nécessitent aussi une implication plus concrète et transparente du secteur privé national.
Le Gecam a, de fait, un espace d’impact : fédérer des engagements concrets de ses membres (investissement, sous-traitance locale, formation, gouvernance), documenter secteur par secteur les gisements de productivité, et codifier avec l’exécutif un calendrier précis : réformes fiscales « neutres en recettes » à court terme, paquet énergie-logistique à effet rapide, accès au financement des PME via garanties ciblées et marchés publics adaptés. C’est à cette condition que le « sursaut » se traduira en gains mesurables de compétitivité.
Le Gecam est une organisation patronale nouvelle, créée le 14 décembre 2023 par fusion du Gicam et d’Ecam sous le régime de la loi du 16 décembre 2021. Cette « fusion-création » lui confère une personnalité propre : elle ne rend pas automatiquement opposables les positions doctrinales de l’ex-Gicam (comme son « Livre vert »), que le Gecam doit désormais ré-adopter ou refondre pour parler au nom d’un périmètre de membres élargi.
Idriss Linge