Plus de 2000 médecins camerounais de l’étranger exclus ! Les médecins de la diaspora au Cameroun font face à un mur administratif érigé par l’Ordre national. Cette bataille qui dure depuis le 14 août dernier révèle des tensions profondes entre tradition et modernisation du système de santé. Un conflit qui prive le pays de ressources médicales cruciales alors que les hôpitaux manquent cruellement de personnel.
Diaspora médicale camerounaise : le dialogue impossible avec l’Ordre
« Nous avons fait du chemin pour tenter de comprendre nos confrères de la diaspora. Mais vraiment, je n’arrive toujours pas à saisir leurs véritables motivations », lâche Dr Rodolphe Fonkoua, président du Conseil de l’Ordre national des médecins du Cameroun. Ces mots, prononcés lors de la récente assemblée de Yaoundé, résument l’impasse actuelle.
Le fossé s’est creusé le 14 août dernier. Ce jour-là, l’Ordre a déployé un dispositif drastique pour contrôler l’inscription des médecins formés à l’étranger. Résultat ? Des centaines de praticiens bloqués, leurs dossiers en souffrance, leurs compétences inexploitées.
Dr Emmanuel Tsaffo, cardiologue formé en France et porte-parole officieux de la diaspora, ne mâche pas ses mots : « L’Ordre agit comme si nous étions des imposteurs. Pourtant, nous sommes allés chercher l’excellence là où elle se trouvait pour mieux servir notre pays. »
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur 100 médecins camerounais formés à l’étranger qui tentent de s’inscrire à l’Ordre, seuls 30 y parviennent dans l’année. Les autres ? Ils attendent, s’impatientent, ou finissent par renoncer.
Cette situation ubuesque révèle les contradictions d’un système de santé en crise. D’un côté, des hôpitaux publics où un seul médecin doit gérer 200 patients par jour. De l’autre, des spécialistes qualifiés qu’on empêche d’exercer sous prétexte de procédures administratives kafkaïennes.
Ordre des médecins Cameroun : la modernisation bloquée
Le Congrès du 14 août devait marquer un tournant. Thème affiché : « Le deuxième Congrès scientifique de l’Ordre ». Dans les couloirs du Palais des Congrès de Yaoundé, on parlait innovation, télémédecine, intelligence artificielle. Mais dans les faits ?
« C’était du blabla. L’Ordre reste ancré dans des schémas des années 70 », confie un jeune médecin sous couvert d’anonymat. La preuve ? Le refus systématique de reconnaître les formations continues suivies à l’étranger, même dans les plus prestigieuses universités.
Dr Matthieu Adamou, neurochirurgien formé en Allemagne et installé à Douala depuis 2022, témoigne : « J’ai dû refaire toutes mes démarches administratives comme si mes 15 ans de pratique en Europe n’existaient pas. C’est humiliant et contre-productif. »
L’Ordre justifie sa position par la nécessité de « protéger le public contre les charlatans ». Argument légitime sur le papier, mais qui cache mal une réalité plus sombre : la peur de la concurrence. Les médecins établis voient d’un mauvais œil l’arrivée de confrères formés aux standards internationaux.
Pendant ce temps, les médecins de la diaspora au Cameroun s’organisent. WhatsApp, Telegram, Signal… Les groupes de discussion fleurissent. On y échange des stratégies, on partage des frustrations, on imagine des solutions. Certains parlent même de créer une association parallèle.
« Nous sommes presque 2000 médecins camerounais exerçant à l’étranger. Si l’Ordre continue à nous bloquer, le Cameroun perdra définitivement cette expertise », avertit Dr Sarah Njoya, gynécologue formée au Canada.
La question du numérique cristallise les tensions. Alors que la télémédecine explose partout dans le monde, l’Ordre camerounais reste frileux. « Ils nous parlent de santé visuelle des populations, d’optique médicale… Mais refusent qu’on utilise les outils modernes pour les consultations à distance », s’étonne Dr Pierre Kamdem, ophtalmologue revenu des États-Unis.
Cette résistance au changement a des conséquences dramatiques. Dans le Nord et l’Extrême-Nord, des populations entières n’ont accès à aucun spécialiste. La télémédecine pourrait combler ce vide. Mais l’Ordre préfère maintenir le statu quo plutôt que d’ouvrir la porte aux innovations.
Les jeunes médecins locaux commencent aussi à s’impatienter. Formés à l’ère du digital, ils ne comprennent pas cet immobilisme. « On nous forme sur des logiciels de pointe à la faculté, mais une fois sur le terrain, on nous demande de remplir des registres papier comme en 1980 », râle un interne de l’hôpital central de Yaoundé.
Le dialogue sincère réclamé par l’Ordre ? Pour l’instant, c’est un monologue. Les représentants de la diaspora n’ont pas été invités au dernier Congrès. Leurs propositions de réforme restent lettre morte. Leurs offres de formation gratuite pour leurs confrères locaux ? Ignorées.
Pourtant, des solutions existent. Le Ghana a créé un fast-track pour les médecins de sa diaspora. Le Rwanda offre des incitations fiscales. Le Sénégal a mis en place une plateforme numérique qui facilite les inscriptions. Mais au Cameroun, on préfère le statu quo.
Cette situation profite aux cliniques privées. Elles, au moins, savent reconnaître la valeur ajoutée de ces médecins formés ailleurs. Résultat ? Une médecine à deux vitesses. Les riches se soignent dans des structures modernes avec des praticiens qualifiés. Les pauvres se contentent d’hôpitaux publics désertés.
La colère monte dans les rangs de la diaspora. Certains commencent à regretter leur retour. « J’ai quitté un poste confortable en Belgique pour servir mon pays. Aujourd’hui, je me demande si j’ai fait le bon choix », confesse Dr Alain Mbarga, radiologue installé à Bafoussam.
L’Ordre, de son côté, campe sur ses positions. Dr Fonkoua répète que « les standards camerounais ne doivent pas être dictés par l’étranger ». Mais de quels standards parle-t-on quand les hôpitaux manquent de tout, du matériel de base aux médicaments essentiels ?
La vraie question n’est pas là. Il s’agit de savoir si le Cameroun peut se permettre de snober 2000 médecins qualifiés alors que le ratio médecin/habitant est l’un des plus faibles d’Afrique centrale. Avec un médecin pour 5000 habitants (contre 1 pour 1000 recommandé par l’OMS), le pays n’a pas le luxe de faire la fine bouche.
Les médecins de la diaspora au Cameroun ne demandent pas la lune. Juste une reconnaissance de leurs compétences, une simplification des procédures, et surtout, un vrai dialogue. Pas ces grand-messes où l’on parle d’eux sans les écouter.
Le temps presse. Chaque jour qui passe voit des médecins renoncer à leur projet de retour. D’autres choisissent des pays voisins plus accueillants. Le Gabon, la Guinée équatoriale recrutent activement. Ils offrent des packages attractifs, des procédures simplifiées, une vraie considération.
Au final, c’est le système de santé camerounais qui paie le prix fort de cette incompréhension. Les patients continuent de mourir de pathologies curables. Les épidémies progressent faute de spécialistes. L’innovation médicale reste un vœu pieux.
L’espoir subsiste néanmoins. Une nouvelle génération arrive aux commandes de l’Ordre. Plus ouverte, plus connectée, elle comprend les enjeux. Mais saura-t-elle imposer le changement face aux dinosaures accrochés à leurs privilèges ?
L’Ordre des médecins acceptera-t-il enfin d’ouvrir ses portes à la diaspora ?