Onze prétendants masculins, une femme pionnière et des alliances impossibles qui se dessinent. La présidentielle camerounaise du 12 octobre 2025 s’annonce historique avec la validation définitive de douze candidatures par le Conseil constitutionnel dans la nuit du 5 au 6 août. Après l’éviction spectaculaire de Maurice Kamto, le principal opposant, qui reste vraiment en lice pour défier Paul Biya et ses 91 ans? Portraits croisés des douze gladiateurs qui vont s’affronter dans cette bataille électorale aux enjeux titanesques pour l’avenir du Cameroun.
Paul Biya: Le doyen incontesté face à onze challengers
Paul Biya (RDPC) – 91 ans, 43 ans de pouvoir
L’homme qui dirige le Cameroun depuis 1982 brigue un huitième mandat présidentiel. Une longévité au pouvoir qui fait de lui l’un des chefs d’État les plus anciens au monde. Né le 13 février 1933 à Mvomeka’a, Paul Biya a construit son règne sur un système politique verrouillé et un appareil sécuritaire redoutable.
Son parti, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), contrôle 148 des 180 sièges à l’Assemblée nationale. « Paul Biya reste le candidat naturel du système. Avec la machine RDPC, il part largement favori », analyse un politologue à Yaoundé.
Récemment, il a constitué son état-major de campagne dirigé par Jean Nkuete (voir notre article Paul Biya nomme son État-major de guerre d’urgence). Le budget de campagne, estimé à plusieurs milliards de francs CFA, témoigne de sa détermination à conserver le pouvoir malgré son âge avancé.
Les chefs traditionnels Sawa lui ont déjà apporté leur soutien massif (lire sur 237online.com/actualites/chefs-sawa-ralliement), consolidant sa base électorale dans le Littoral. Mais à 91 ans, les questions sur sa capacité physique à gouverner persistent.
L’opposition fragmentée: Entre espoirs et divisions
Bello Bouba Maïgari (UNDP) – 78 ans, l’opposant rallié qui redevient dissident
Ancien Premier ministre de 1975 à 1982, Bello Bouba Maïgari incarne une opposition historique au Cameroun. Président de l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP) depuis sa création en 1991, il contrôle un électorat solide dans le Grand Nord, estimé à près de 3 millions de voix potentielles.
Ministre d’État jusqu’à sa démission spectaculaire en 2024, il renoue avec son passé d’opposant. Des tractations secrètes avec le pouvoir ont récemment été révélées, Henri Eyebe Ayissi lui ayant rendu visite (détails sur Bello Bouba Maïgari Cameroun: Tractations secrètes avec Paul Biya). « Bello Bouba joue sur plusieurs tableaux. Il négocie avec tout le monde », confie un proche du dossier.
Sa force réside dans son ancrage territorial, particulièrement dans les régions septentrionales où l’UNDP reste influent. Avec 7 députés à l’Assemblée, il dispose d’une base parlementaire pour peser dans les négociations.
Joshua Osih (SDF) – 56 ans, l’héritier du Chairman
Successeur de John Fru Ndi à la tête du Social Democratic Front, Joshua Osih représente la nouvelle génération de l’opposition anglophone. Né à Kumba en 1968, cet ingénieur de formation tente de moderniser le SDF tout en conservant son ancrage dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest.
Il s’est récemment autoproclamé candidat consensuel de l’opposition (voir Joshua Osih défie Biya: « L’opposition c’est moi » au Cameroun), une stratégie audacieuse qui divise. « Joshua Osih veut incarner le changement, mais le SDF n’est plus ce qu’il était », analyse un observateur politique.
Le parti compte encore 5 députés malgré la crise anglophone qui a affaibli son influence. Osih mise sur un discours de réconciliation nationale et promet de ramener la paix dans les régions anglophones, un argument qui pourrait séduire.
Cabral Libii (PCRN) – 45 ans, le phénomène médiatique
Plus jeune candidat à la présidentielle de 2018, Cabral Libii incarne le renouveau générationnel. Député depuis 2018, ce patriote charismatique a bâti sa notoriété sur les réseaux sociaux où il compte plus de 500.000 abonnés. Son Parti pour la Réconciliation Nationale (PCRN) attire massivement les jeunes urbains.
Malgré les contestations internes qui ont failli faire capoter sa candidature, le Conseil constitutionnel l’a maintenu dans la course. « Cabral Libii représente l’espoir de la jeunesse camerounaise. C’est notre Obama », s’enthousiasme un militant à Douala.
Son programme axé sur l’emploi des jeunes et la lutte contre la corruption résonne auprès d’une population dont 60% a moins de 25 ans. Mais sans machine électorale rodée, peut-il vraiment inquiéter les ténors?

Les outsiders qui peuvent créer la surprise
Akere Muna (Univers) – 72 ans, l’avocat international
Fils de Solomon Tandeng Muna, figure historique de l’opposition anglophone, Akere Muna apporte une crédibilité internationale à cette élection. Ancien bâtonnier du Barreau du Cameroun et ex-vice-président de Transparency International, il jouit d’une réputation d’intégrité.
Candidat du parti Univers, il prône une approche fédéraliste pour résoudre la crise anglophone. « Le Cameroun a besoin d’une refondation institutionnelle complète », martèle-t-il dans ses meetings. Son réseau international pourrait attirer l’attention des observateurs étrangers sur le scrutin.
Serge Espoir Matomba (PURS) – 45 ans, l’homme d’affaires populiste
Serge Espoir Matomba, né le 30 septembre 1979 à Douala est un homme politique camerounais, Premier secrétaire du Peuple uni pour la rénovation sociale (PURS). Conseiller municipal de l’arrondissement de Douala 4e depuis 2013,Elu de nouveau en 2020 comme conseiller municipal et Grand conseiller à la Mairie de la Ville de Douala. il fait partie des premiers jeunes camerounais qui sont montés sur les tribunes pour dénoncer les travers du régime actuel. C’est un entrepreneur camerounais. « Un salaire minimum de 100.000 FCFA pour tous », promet-il.
Homme d’affaires prospère avant son entrée en politique, il finance sa campagne sur fonds propres. Son ancrage dans le littoral, région clé avec 2,5 millions d’électeurs, fait de lui un trouble-fête potentiel.
Issa Tchiroma Bakary (FSNC) – 75 ans, le transfuge du régime
Ancien ministre de la Communication de Paul Biya pendant plus de dix ans, Issa Tchiroma représente le Front pour le Salut National du Cameroun (FSNC). Sa candidature symbolise la fracture au sein du régime.
« J’ai servi loyalement, mais il est temps de tourner la page », a-t-il déclaré lors de sa démission fracassante. Son passage au gouvernement lui donne une connaissance intime du système qu’il combat désormais. Un atout ou un handicap?
Les candidatures de témoignage
Hermine Patricia Tomaïno Ndam Njoya (UDC) – 56 ans, la pionnière qui brise le plafond de verre
Seule femme parmi les 12 candidats, Patricia Ndam Njoya est avocate et maire adjointe de Foumban. Elle préside l’Union Démocratique du Cameroun depuis 2022 et incarne une nouvelle génération de femmes politiques déterminées à accéder aux plus hautes fonctions. Son parti a récemment lancé un appel à la communauté internationale pour surveiller les élections (Lire sur UDC Cameroun: SOS explosif à l’ONU contre « fraude électorale »).
« Une femme peut et doit diriger le Cameroun », martèle-t-elle dans ses discours. Avec environ 50.000 militants revendiqués dans le Noun et le soutien croissant des associations féminines, Patricia Ndam Njoya incarne un symbole fort pour les 51% de femmes que compte l’électorat camerounais. Son défi : transformer cette représentation symbolique en votes concrets.
Pierre Kwemo (UMS) – 62 ans, l’intellectuel discret
Député du département du Haut-Nkam dans la région de l’Ouest du Cameroun. Il est aussi promoteur sportif et opérateur économique. Président de l’Union pour les Mouvements Sociaux (UMS), Pierre Kwemo incarne une candidature intellectuelle. Peu connu du grand public, il mise sur un programme détaillé de réformes institutionnelles.
Son slogan « La compétence au pouvoir » peine à mobiliser au-delà des cercles universitaires. Mais ses analyses pointues lors des débats pourraient lui donner de la visibilité.
Seta Caxton Ateki (PAL) – 39 ans, le jeune persévérant
Seta Caxton Ateki, né en 1986 dans la région du Nord-Ouest du Cameroun, est un homme politique camerounais et ancien membre de la société civile. Il se présente à l’élection présidentielle camerounaise de 2025 en tant que candidat du Parti de l’Alliance libérale (PAL).
Jacques Bouhga-Hagbe (MCNC) – 51 ans, l’inconnu mystérieux
Candidat du Mouvement Camerounais pour la Nouvelle Constitution (MCNC), Jacques Bouhga-Hagbe reste l’énigme de cette élection. Peu de données disponibles sur son parcours, pas de présence médiatique notable. « C’est qui ce type? », s’interrogent même les observateurs avertis.
Hiram Samuel Iyodi (FDC) – 38 ans, le crush présidentiel de TikTok
Hiram Samuel Iyodi, né le 29 août 1987 à Douala, est un ingénieur, chef d’entreprise et homme politique camerounais. Il est le Secrétaire exécutif du Mouvement Patriotique pour la Prospérité du Peuple, un parti politique souverainiste à tendance panafricaniste.
En 2018, Hiram Iyodi est l’un des piliers de la campagne du Bâtonnier Akere Muna à l’élection présidentielle
L’ombre de Maurice Kamto plane sur le scrutin
L’absence de Maurice Kamto, exclu pour « pluralité d’investitures » au sein du MANIDEM, bouleverse complètement la donne. Ses 2 millions d’électeurs revendiqués deviennent l’enjeu central.
Jean Michel Nintcheu, son lieutenant, appelle déjà à la mobilisation populaire (Jean Michel Nintcheu Cameroun: Appel explosif au soulèvement). « Le match vient à peine de commencer », prévient-il dans un message qui fait trembler les autorités.
Les négociations vont bon train pour récupérer cet électorat orphelin. Bello Bouba Maïgari et Cabral Libii sont en pole position, mais Joshua Osih ne désespère pas de rallier les déçus du MRC.
Une campagne sous haute tension
Avec le début officiel de la campagne fixé au 27 septembre, les deux prochains mois s’annoncent intenses. Le budget total de la campagne, tous candidats confondus, pourrait dépasser les 50 milliards de FCFA selon les estimations.
Les enjeux sont colossaux: crise anglophone, chômage des jeunes (32% selon l’INS), corruption endémique, infrastructures défaillantes. Chaque candidat devra convaincre qu’il détient les solutions.
La diaspora, estimée à 3 millions de Camerounais, pourrait jouer un rôle clé si le vote à l’étranger est correctement organisé. Les réseaux sociaux, nouveau champ de bataille électoral, vont amplifier chaque coup, chaque scandale.
Paul Biya reste mathématiquement favori avec la machine RDPC et les moyens de l’État. Mais à 91 ans, son âge devient son talon d’Achille. L’opposition, malgré sa fragmentation, rêve du grand soir. La présence historique d’une femme candidate, Patricia Ndam Njoya, marque une évolution symbolique importante dans un pays où les femmes représentent 51% de l’électorat.
Cette présidentielle 2025 pourrait marquer un tournant historique. La présence d’Hermine Patricia Tomaïno Ndam Njoya, première femme candidate validée depuis 2011, symbolise une évolution sociétale. Soit la confirmation d’un système vieux de 43 ans, soit l’amorce d’une alternance tant attendue. Les douze candidats ont deux mois pour convaincre 7 millions d’électeurs inscrits.
La bataille s’annonce rude, les coups bas probables, les surprises possibles. Le Cameroun retient son souffle.
L’opposition fragmentée et cette femme pionnière peuvent-elles vraiment faire tomber le système Biya?

