Il est plus de 23h, dans la moiteur de Libreville, quand le conseil d’administration de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) s’achève, le 4 avril dernier. Les administrateurs ont, pendant plus d’une heure, âprement débattu d’un sujet qui les divise. A un moment, Mays Mouissi, le ministre gabonais de l’Economie et des Participations, qui assure également la présidence du Conseil d’administration de l’institution, demande aux membres du gouvernement de la banque centrale présents de sortir de la salle, pour leur permettre de délibérer. Le verdict tombe finalement : le vice-gouverneur, le Congolais Michel Dzombala, le secrétaire général, l’Equato-guinéen Miguel Engonga Obiang Eyang, ainsi que les trois directeurs généraux, le Gabonais Jean-Clary Otoumou, le Camerounais Eugène Blaise Nsom, et le Tchadien Mahamat Djibrine, ne verront pas leurs salaires augmenter afin d’égaliser celui du gouverneur, comme le préconise un rapport du comité des rémunérations. Un épisode vient de se clore.
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Son scénario débute en février, dans le contexte de la fin du mandat de l’ancien gouverneur, Abbas Mahamat Tolli, et a pour principaux protagonistes Otoumou, Nsom et Nguema, et pour cadre la capitale française. Ils séjournent à Paris en même temps que le Comité des rémunérations qui travaille sur la revalorisation du traitement des membres du gouvernement et les échanges s’intensifient. Nommés, en même temps que Dzombala, lors du sommet des chefs d’Etat de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) du 17 mars 2023, les quatre n’ont toujours pas signé leur contrat avec la Beac. Arguant de la collégialité et, surtout, du fait que chacun représente son pays au sein du gouvernement, comme du reste le gouverneur, le trio estime avoir droit à la même rémunération que le premier dirigeant.
« Prime de performance »
Les salaires des membres du gouvernement se situent mensuellement dans une fourchette comprise en 15 et 25 millions de Fcfa. A cela s’ajoutent des avantages de toutes natures frisant 5 millions de Fcfa. Trimestriellement, chacun reçoit une « prime de performance » équivalente à un mois et demi de sa solde, à laquelle il faut compter un émargement se situant entre 1,5 et 3 millions de F CFA pour chaque réunion d’instance, et il s’en tient au moins une dizaine chaque par trimestre, à différents niveaux de l’institut d’émission. Une situation d’opulence qui avait fait bondir en son temps, le gouverneur Abbas Mahamat Tolli, qui s’était alors mis à dos ses collaborateurs en déclarant que « la Beac ne saurait être un îlot de prospérité et d’opulence dans une sous-région en crise ».

Cette situation fait aussi bondir à l’intérieur même de la banque centrale, où selon les sources de EcoMatin, ce traitement princier des membres du gouvernement est au-delà de ce qui est pratiqué à la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) et à la Banque de France et même au FMI où EcoMatin a retrouvé avec une facilité déconcertante les salaires et avantages des principaux dirigeants sur le site internet de la première institution financière mondiale.
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La rémunération du secrétaire général de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) et de son adjoint figure également dans cet intervalle indiqué pour les membres du gouvernement. Un détail qui n’est pas anodin. Puisque le président du Comité des rémunérations de la Beac, Béchir Daye, actuel directeur général du Trésor tchadien, est justement proposé par son pays pour diriger le régulateur bancaire. Une augmentation des salaires à la Beac aura automatiquement pour conséquence une hausse de la solde des responsables de la Cobac. Si sa candidature venait à passer – cela n’a malheureusement pas été le cas -, Béchir Daye serait gagnant, en dépit du conflit d’intérêts potentiel.
Etude d’impact
L’indécence du Comité ne s’arrête pas là. La proposition d’une revue des avantages à la hausse est également faite. Pour prendre en compte l’inflation, la prime de logement des membres du gouvernement devrait passer de 2,5 millions à 6 millions de francs CFA. L’indemnité de mobilier connaîtrait une hausse de 30%. Le nombre de véhicules neufs des DG passerait d’une voiture à deux, sauf pour le gouverneur dont le nombre de véhicules de fonction monterait de deux à quatre, avec une ligne d’entretien mensuel de 600 000 francs CFA au profit de chacun.
Opposition ferme du gouverneur
Le conseil d’administration n’a pas validé les propositions parce qu’elle ne s’appuie pas, selon l’actuel gouverneur Sana Bangui qui y est fermement opposé, sur une étude d’impact pour évaluer leur soutenabilité budgétaire à long terme. Pour Sana Bangui, une égalisation des salaires des membres du gouvernement aurait un impact financier annuel de plus de 1,2 milliard de Fcfa. Un mauvais signal que les administrateurs de la banque centrale ne devraient pas, selon lui, envoyer au personnel, malgré la suggestion du rapport controversé de revoir aussi l’indice général dès juin. Déjà, l’écart de rémunération est conséquent entre les membres du gouvernement et les autres responsables de l’institut d’émission que sont les directeurs centraux et les directeurs nationaux. Ce qui n’aurait pas manqué d’enclencher une grogne générale dans une maison où la discrétion est l’un des maîtres mots que soutient le Centrafricain.
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Pourtant, à EcoMatin, le nouveau gouverneur avait évoqué le retour à la sérénité à la banque centrale suite au changement opéré à sa tête. « Le personnel est confiant en ses dirigeants. Nous travaillons en parfaite collaboration, et je puis vous assurer que nous marquons un nouveau départ dans la franche collaboration, dans le respect mutuel et dans le professionnalisme », déclarait Yvon Sana Bangui à EcoMatin lors de sa conférence de presse du 25 mars, à l’issue du premier comité de politique monétaire qu’il présidait. La manœuvre des investigateurs à l’origine de la tentative d’égalisation des revenus membres du gouvernement de l’institut d’émission et des dirigeants de la Cobac trahit cet optimisme de façade. Jusqu’où tiendra-t-il…?